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Enseignement décrivant les attitudes et les réflexions à adopter pour cheminer convenablement sur la voie du dhamma.

Description des plus hautes réalisations offertes par la méditation : les jhāna et nibbāna.

Les jhāna et nibbāna

sphères colorées sortant de la tête d’un être imaginaire en méditation

Enseignement disponible sur fichier audio

La voie du dhamma

Une voie légitime et saine

Cette voie qui est censée amener les êtres à la fin de la souffrance, est une voie légitime et saine. C’est une voie dans laquelle s’engage toute personne suffisamment sensée et suffisamment intelligente. Seuls, les animaux – qui ne peuvent pas échapper à leur misère quotidienne – s’y entretiennent de la manière la plus confuse qui soit, en continuant de vivre malgré eux dans un monde de prédation, d’agressivité, de peur, de fuite, de haine et de violence.

Les humains ont une capacité que les animaux n’ont pas. Dans un premier temps, c’est de concevoir qu’il est peut-être possible d’y échapper. Dans un deuxième temps, désirer sincèrement vouloir y échapper et d’aller vers quelque chose, vers un lieu, un état, une expérience qui en serait totalement vide.

Nous avons pour cela, certains organes mentaux, qui font partie de notre condition humaine. Ils nous donnent la possibilité de discriminer en ce qui est susceptible de pouvoir nous aider sur cette voie d’une part, et ce qui est susceptible de nous entretenir dans la misère, la souffrance, l’agressivité, la violence et la prédation d’autre part. Nous avons cette capacité à discerner ce qui est habile (kusala) de ce qui est malhabile (akusala).

L’habileté

Le mot pali « kusala » est devenu en anglais « skill » et en latin « scola ». Nous savons que le mot « école » a la même racine, qui signifie « habileté », puisque l’école est justement l’endroit où l’on est censé développer l’habileté. « kusala » signifie donc « habile ». Comme le précise le commentaire du « dhamma saṃghani », rédigé par Buddha Gosa, le mot « kusala » désigne l’habileté d’un artisan à accomplir son œuvre. Voilà donc le sens du mot « kusala », qui ne signifie pas « bien » ou « bon », mais « habile », dans le sens que c’est intelligent, que c’est fin, que c’est ce qui va nous aider à aller mieux. C’est habile, car cela va nous amener à moins de souffrance, et nous aider à avancer. « akusala » signifie donc « malhabile ». C’est ce qui est maladroit, ce qui nous fait manquer notre opération.

Nous sommes dans une école ; l’école de l’habileté précisément. Nous allons nous habituer à développer les comportements habiles, utiles, constructifs et bénéfiques. Parallèlement, nous allons nous habituer à abandonner les comportements malhabiles, malheureux et générateurs de souffrance et de peine.

Réfléchir par nous-mêmes

Si, à un Juif, à un Musulman, à un Hindou, à un Bouddhiste Mahayana, à un Bouddhiste theravāda, à un Chrétien, à un Communiste, à un Nazi, à un Fasciste, ou à un Athée, nous demandions : « quels sont les moyens habiles pour arriver à cette destination, à ce lieu, à cette expérience, vide de misère, vide de souffrance ? », nous obtiendrions probablement des réponses différentes. Nous aurions certainement beaucoup d’éléments risquant de prêter à confusion. Il n’est pas nécessaire d’étudier quelles sont les voies enseignées par les uns et par les autres. Il est plus utile de réfléchir par nous-mêmes et d’essayer de comprendre par soi-même.

D’une part, nous pouvons réfléchir par nous-mêmes sur ce qu’est l’état de peine, le stress, l’état de contrainte dans lequel nous vivons. Pour beaucoup d’entre nous, il n’est pas la peine de réfléchir, cela est spontané, assez direct. Pour certain d’entre nous, la prise de conscience avec la souffrance du monde date de nos plus jeunes années. D’autre part, nous pouvons réfléchir, analyser sur ce qui doit être un lieu, une expérience ou une situation vide de cette peine, vide de cette souffrance.

Une fois que nous aurons réfléchi intelligemment, de façon constructive sur ces deux éléments et que nous les aurons approuvé, nous aurons à développer l’habileté à comprendre ce qui d’une part est générateur de souffrance, de misère, de peine, et ce qui, d’autre part, doit nous amener à expérimenter la fin de la souffrance, de la misère, et du stress.

La confiance et le doute

Nous nous retrouvons en fait dans un monde à quatre dimensions. Cette réflexion doit être mûre, elle doit s’appuyer sur autant de doutes et de remises en question que de conviction et de confiance, car avoir confiance sans douter, c’est dangereux, et douter sans avoir confiance, c’est stérile. Il nous faut trouver une voie d’équilibre juste où subsiste toujours en nous une parcelle de doute. C’est cette parcelle de doute qui nous amène toujours à réfléchir, à nous remettre en question à tout moment, à nous demander si l’on n’est pas en train de partir sur des voies dangereuses. Il faut faire très attention à la confiance, qui devient trop vite une foi aveugle dans un système qu’on ne maîtrise plus.

On dit parfois : « celui qui a fait l’expérience de l’éveil est celui qui a dissipé le doute ». Paradoxalement, dissiper le doute, c’est aussi dissiper la conscience. Bouddha ne dit pas : « celui qui est arrivé à l’expérience de l’éveil a développé une confiance totale ». Il dit : « celui qui est arrivé à l’expérience de l’éveil a abandonné le doute sceptique ». En abandonnant le doute sceptique, par la même occasion, il a abandonné la confiance totale.

Ces deux éléments sont dangereux quand ils sont présents de manière disproportionnés, et constructifs quand ils sont présents de manière équilibrée.

Notre école, c’est celle de la réflexion, celle du raisonnement, c’est l’école d’un certain scepticisme, mais constructif et non destructif, c’est l’école de la raison, du raisonnable. Cette école ne se trouve pas dans le judaïsme, ni dans l’islam, ni dans l’hindouisme, ni dans le mahayana, ni dans le theravāda, ni dans un autre bouddhisme, ni dans le christianisme, ni dans le communisme, ni dans le nazisme, ni dans le fascisme, ni dans l’athéisme. Elle se trouve tout simplement en chacun d’entre nous, une fois que nous y avons adhéré. Elle se passe d’institution, de prêtres, de hiérarchie, de conviction, de discours, d’écrit. C’est tout simplement le travail que nous effectuons chacun, à notre niveau, dans notre vie quotidienne. Lorsque nous réfléchissons, lorsque nous avançons, nous découvrons par nous-mêmes, que nos réflexions ont déjà été faites par le passé, qu’elles ont déjà été tenues et conduites par des gens dans le passé.

Nous découvrons alors que Bouddha, le moine Gotama, est quelqu’un dont le discours ne s’est jamais écarté de ce registre. Tout son discours est en fait – c’est quand on réfléchit qu’on le découvre – un discours pragmatique et raisonnable sur les choses de la vie. À ce moment-là, on se sent en phase avec ce discours, avec l’enseignement des moines. On se sent en phase avec l’enseignement de Bouddha, non pas parce qu’on lui fait confiance, mais tout simplement parce qu’on arrive nous-mêmes, par nos propres réflexions, à des intuitions similaires. Ce n’est pas tant qu’on se dit être d’accord avec lui, mais plutôt qu’on se dit qu’il est d’accord avec nous.Il y a toujours un certain équilibre entre un certain doute, un certain scepticisme et une certaine confiance. Cela est très important. Sachons bien que celui qui est arrivé à l’éveil parfait, à la réalisation finale (un arahant), n’est pas quelqu’un qui pourrait dire qu’il a une confiance totale dans l’enseignement de Bouddha. Il n’est pas non plus quelqu’un qui pourrait dire le contraire. C’est quelqu’un qui a acquis cette capacité, dans toutes ses expériences, dans toutes ses réflexions, à ne jamais être certain de rien. Néanmoins, c’est quelqu’un qui ne doute jamais, ce qui est assez paradoxal. L’état de confiance absolue, de vérité totale, l’état de certitude une chose d’absente dans l’esprit d’un être sage.

Un monde confus

Ainsi, si nous réfléchissons, si nous nous posons la question « de quoi est fait ce monde ? », nous verrons que toute discussion ou réflexion nous amènera vraisemblablement à nous rendre compte que ce monde est assez confus. Nous constaterons qu’il est très difficile d’arriver à extraire une vérité, une substance, ou quelque chose de stable, de fiable, sur quoi nous reposer. Nous vivons vraiment dans un monde confus. Que ce soit le monde social, le monde politique, le monde économique, le monde technologique, le monde réel, le monde virtuel, le monde de la religion, de la spiritualité, de la philosophie, de la culture, tout ceci reste relativement confus, désordonné.

Dans toutes les aires d’activités, il subsiste tout de même une constante, qui est un certain degré de stress, de contrainte. Il subsiste également une indicible, immense soif de liberté, que tous les êtres, presque, partagent à leur manière. Nous arrivons donc à une conclusion, qui est raisonnable, qui est réfléchie, et qui peut mériter toujours plus d’investigation de notre pensée et de notre réflexion. Cette conclusion, c’est que l’une des caractéristiques dominantes de ce monde est qu’il est pénible, tout simplement. C’est une caractéristique qui semble se vérifier partout, où qu’on réfléchisse, où qu’on observe. Nous avons déjà un élément important à notre disposition.

Maintenant, nous pouvons essayer de penser, de réfléchir à qu’est-ce que pourrait être qu’un lieu, une expérience, vide de cette contrainte. Et nous pouvons comprendre que cette chose, ce lieu, cette expérience est la seule alternative possible à toutes les turpitudes et à toutes les contraintes de ce monde. Exactement de la même manière que s’il y a du bruit, la seule alternative possible pour nous libérer du bruit doit être le silence.

Le plaisir, source de notre souffrance

Par exemple, lorsqu’il y a un son particulièrement déplaisant, on voudrait qu’il s’arrête, parce que c’est pénible. On a la possibilité de remplacer ce son par un autre. On peut transmuter ce son, on peut le purifier. On peut entreprendre une démarche qui va nous amener d’un son particulièrement désagréable à un son béatifique, merveilleux. Le problème, c’est que de toute façon, nous n’avons pas éliminé le son. Nous sommes passés d’un son désagréable à un son agréable. C’est mieux que rien, cela peut nous apporter un réconfort à court terme. Nous n’avons cependant pas éliminé le problème du son, parce que le son est encore là. De plus, même si nous avons un son particulièrement agréable, il est probable qu’au bout d’un moment, nous en soyons totalement saturé. Même un son particulièrement mélodieux finirait par devenir désagréable. Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi un son est-il plaisant, agréable, et ensuite, ce même son, cette même mélodie, devient-il insupportable ? C’est tout de même bizarre ! Ce qui a changé, c’est tout simplement que nous en avons trop. Nous en sommes gavés.

Même le plaisir devient déplaisir ; par sa présence, il devient insupportable. Il devient lui aussi, source de peine, de contrainte et de stress. Souvent d’ailleurs, le plaisir est utilisé par les humains comme remède à court terme pour effacer les souffrances et les misères. En fait, on en est presque condamné, à courir après les plaisirs pour rendre ce monde plus supportable. Le plaisir devient même source de notre souffrance et de notre misère, parce que nous sommes condamnés à lui courir après.

Le plaisir n’est donc pas le bien être, il n’est pas encore la solution, il n’est pas encore l’alternative à la souffrance. L’alternative à la peine ; c’est la fin de la peine. L’alternative au son déplaisant n’est pas le son plaisant ; c’est l’absence de son. L’alternative à toute expérience douloureuse n’est pas l’expérience heureuse et pleine, c’est l’absence d’expérience.

Voilà ce que Bouddha a découvert et ce que notre réflexion peut nous amener aussi à découvrir.

Les jhāna

Les états de bonheur intense

Nous pouvons arriver – comme les humains aiment à le faire depuis des millénaires – à travers des exercices spirituels, à expérimenter des états de grâce, des états de conscience qui sont limpides et dans lesquels il n’y a pratiquement rien qui se manifeste. Ce sont des états de conscience qui ont la capacité de demeurer limpides, clairs, immobiles. Ils sont accompagnés d’une profonde sensation de bien être et sont vides de sensations pénibles. On cite de telles expériences dans de nombreuses littératures du passé, dans des littératures mystiques du soufisme, de l’hindouisme, du mahayana, du bouddhisme et d’autres traditions.

Ces consciences, nous pouvons imaginer qu’elles existent, même si nous ne les avons jamais expérimentées. On en parle beaucoup, dans les diverses traditions mystiques de l’humanité. On doit pouvoir imaginer – surtout si soi-même, avons eu quelques expériences un peu inhabituelles – qu’il est possible, à l’aide d’exercices de méditation, de concentration, basés sur le souffle, sur des mantras ou sur des visualisations, d’atteindre un certain degré de plénitude intérieure, un état de bonheur intense. Il est donc vraisemblablement possible d’arriver à un lieu, une situation, un état, vide de souffrance, vide de stress. Ces expériences, le moine Gotama les appelle les jhāna.

Durant ces expériences, la conscience fonctionne dans un mode particulier, hyper accéléré, d’une lucidité absolue, et demeure absorbée dans un état de bien être, de neutralité, de joie intérieure extrêmement intense. C’est une forme de libération. D’ailleurs, il appelle aussi ces consciences, des « consciences émancipées ». Néanmoins, nous sommes dans la même situation que celui qui a remplacé un son désagréable par un son plaisant. Bien entendu, une sensation plaisante, est – par définition – vide de sensations déplaisantes.

Si nous atteignons une plénitude, une divinité, nous sommes dans une expérience vide de souffrance. C’est parce que cette expérience est particulièrement plaisante et jouissive qu’elle est vide de souffrance. En ce sens, elle n’est pas l’absence de souffrance. Elle est l’incapacité à la souffrance de prendre place, car il y a autre chose qui prend toute la place. Pour arriver à ces états de conscience, à ces expériences mentales, il faut se livrer à des exercices spirituels qui sont décrits dans de nombreuses littératures chrétiennes, soufies, hindouistes, mahayanistes, et d’autres traditions.

La plénitude n’est pas la solution

Bouddha lui-même, d’ailleurs, n’a pas manqué d’enseigner ces exercices spirituels. Il en a recensé quarante – qui ne sont bien entendu pas exclusifs – qui permettent à celui qui s’y entraîne avec beaucoup d’assiduité, d’énergie et de détermination, d’atteindre ces expériences spirituelles particulières.

Néanmoins, pour lui, ce n’est pas la solution. Ce sont des consciences vides de souffrance parce que leur mode de fonctionnement n’autorise techniquement pas la présence de sensations pénibles. Exactement de la même manière, lorsque nous sommes chez le dentiste, nous ne ressentons pas la moindre douleur parce qu’il est techniquement impossible au nerf de la transmettre, du fait qu’il a été endormi par un anesthésiant. Toutefois, le mécanisme habituel est toujours là : la fraise du dentiste est toujours là et le nerf est toujours là. Il y a simplement une fonction – celle de la douleur – qui a été momentanément neutralisée.

Ainsi, lorsque nous nous absorbons, grâce à des exercices de méditation, que nous faisons l’expérience d’une certaine jouissance intérieure, nous n’avons pas évacué, ni même ébranlé les fondations de la souffrance. Nous avons momentanément neutralisé une fonction. Comme nous n’avons plus la capacité de percevoir la souffrance, nous sommes convaincus d’avoir atteint un état qui en est vide.

Le stress, les contraintes et les difficultés ont été remplacés par quelque chose de trop volumineux pour laisser la place à quoi que ce soit d’autre. La jouissance procurée par les jhāna ne connaît pas d’altérité, parce qu’il est techniquement impossible qu’elle y prenne place. C’est déjà très bien d’y arriver ; nous pouvons le faire à l’aide de la concentration, en fixant notre attention sur un seul point, pendant des heures, des mois, des années, sans relâche, jusqu’à ce que ce point apparaisse dans nos rêves, à tout moment de la journée, même quand nous n’y pensons pas. À tout moment de la journée, nous sommes absorbés, nous faisons « un » avec le support de notre méditation. Par exemple, si nous avons choisi un symbole ou une divinité, selon notre tradition religieuse, il arrivera un moment où nous atteindrons une sorte d’unité à cette divinité. Nous ne parviendrons plus à distinguer la divinité de la conscience. Nous vivrons ainsi dans le domaine de la divinité. C’est très bien d’arriver à cela, rares sont ceux qui y sont parvenu. Néanmoins, si nous réfléchissons un peu, nous pouvons encore nous poser la question de savoir si cela constitue vraiment une libération définitive.

Une voie insolite

Pour l’éveillé Gotama, la réponse est négative. Pour le libre penseur, pour celui qui n’accepte rien à priori, la réponse ne peut être positive. Ce que Bouddha a découvert, est un chemin de traverse insoupçonné, invisible de son temps. C’est une voie insolite qui ne permet pas aux êtres de basculer de la souffrance à la jouissance, du malheur au bonheur. Il permet plutôt aux êtres d’arriver à ne plus produire de la souffrance, sans pour autant produire du bonheur. Cela est tout à fait paradoxal. Il s’agit d’arrêter le mécanisme de production, de reproduction. C’est ne plus s’engager sur une voie. Pour lui, cela est la seule alternative à la souffrance. C’est l’absence de souffrance, c’est ne plus s’engager sur la voie qui amène à la souffrance. Ne plus s’engager sur la voie qui amène à la souffrance, c’est aussi ne plus s’engager à la voie qui amène au bonheur, à la jouissance ou à la félicité. C’est la voie de l’abstention, de la cessation.

La voie de la cessation nous amène à changer notre relation au monde. Nous n’entreprenons pas une pratique ou un exercice susceptible de nous amener à un résultat. Au contraire, nous cessons d’entreprendre une pratique ou un exercice susceptible de nous amener à un résultat. À ce niveau là, la question du résultat douloureux ou du résultat joyeux ne se pose même plus, car l’un comme l’autre est encore un problème. C’est la raison pour laquelle, dans notre voie, nous ne cherchons pas à nous orienter vers l’expérience des jhāna, des consciences sublimes, des consciences absorbées, des consciences divines. Nous ne sommes pas dans une démarche qui doit nous amener à expérimenter du bonheur, de la plénitude, de la paix intérieure. Nous sommes dans une démarche où nous cessons de faire ce qui est susceptible de nous amener à ces choses-là. C’est incroyable.

L’absence d’expérience

Alors que nombreux sont ceux qui se posent des questions sur la création du monde, nous nous intéressons à l’instant qui l’a précédé. Beaucoup de gens s’intéressent à ce qu’il faut faire pour arriver, pour atteindre. Nous, ce qui nous intéresse, paradoxalement, c’est justement ne plus arriver, ne plus atteindre. Que le monde n’apparaisse pas ! Qu’il ne se produise pas ! Que la souffrance n’apparaisse plus mais que le bonheur et que le plaisir n’apparaissent plus non plus ! Pour reprendre l’image exposée précédemment : qu’il n’y ait plus de bruit déplaisant, mais qu’il n’y ait plus non plus de bruit plaisant ! L’expérience du silence qui, par définition, ne peut pas en être une, est l’absence d’expérience, car qui dit expérience dit nécessairement qu’il y a l’objet d’une expérience. Qui parle d’objet parle de présence. On ne parle que de présence dans la religion, dans la spiritualité ou dans l’économie.

Notre démarche nous amène à l’absence de présence, à l’absence d’expérience, qui n’est pas pour autant le néant, car le néant n’existe pas. Nous nous en sommes bien rendu compte, puisque le monde est là. Donc, nous ne pouvons pas atteindre le néant ; il n’y a pas de néant, il y a le monde. Il y aurait pu avoir le néant, mais s’il y avait eu le néant, il n’y aurait pas eu le monde. Visiblement, ce n’est pas le cas. Ainsi, nous n’avons que le monde et son absence, mais l’absence de ce monde ne peut être le néant. Nous voilà confrontés à une étrange énigme.

Il doit donc y avoir quelque chose qui ne doit pas être une expérience, ni une sensation, ni une conscience, et qui doit être fondamentalement vide de souffrance, mais en même temps vide de bonheur, vide de plénitude et vide de joie. Toutefois, il faut qu’il y ait quelque chose, puisqu’il ne peut pas y avoir rien, puisque visiblement, l’univers n’est pas dans le néant. Nous sommes donc confrontés à une sorte de puzzle technique, à une interrogation d’ordre purement logique.

nibbāna

L’expérience de la chose éteinte

Bouddha est celui qui a fait l’expérience de cette chose éteinte, cette chose qui existe, mais qui n’apparaît pas. Elle ne peut pas apparaître, elle n’a pas de caractéristiques, elle n’a pas de forme. Donc on ne peut pas dire qu’elle existe. On ne peut pas non plus dire qu’elle n’existe pas. Il a du, d’une manière ou d’une autre, approcher cette chose, avec la conscience. Pourtant, il n’a pas pu la voir. Cette expérience insolite, qui doit être vide de sensation, est ce que l’on appelle l’expérience de l’éveil. C’est une chose difficile à décrire. Bouddha emploie plusieurs termes, il parle, entre autres, de libération ou d’émancipation. Il emploie aussi ces termes lorsqu’il parle des consciences divines.

Pour désigner cet élément insolite, il a employé un mot : nibbāna, qui ne veut pas dire ce que beaucoup de gens lui prêtent : la flamme qui aurait été soufflée, l’état vide d’attachement, vide de souffrance, etc. Le mot nibbāna n’a pas véritablement un sens lexical. Il a un usage, comme tous les mots, mais on a du mal à lui trouver une racine. Les érudits aiment bien trouver des racines aux mots. Pourtant, arrive obligatoirement un moment où un mot ne peut pas avoir de racine. Exemple : La racine du mot « pétrifier » est le mot « petros » en grec, qui signifie « pierre ». « Pétrifier » signifie « transformer en pierre ». Le mot « pierre » désigne une « matière minérale dure et solide, formant des masses compactes ». Ce mot n’a pas nécessairement de racine. De la même manière, le mot « nibbāna » est un terme utilisé pour désigner une chose, mais n’a pas nécessairement une racine. Il n’est pas nécessaire de trouver une racine aux mots.

Bouddha a employé un mot qui s’utilisait de son temps, pour désigner, par exemple, l’état du riz sorti de l’étuve ou l’état d’un chien après la mort. Paradoxalement, il n’y a pas de chien, puisqu’un chien mort n’est pas un chien. Pour ce faire, on employait le terme « parinibbāna » voulant dire « nibbāna complet », « nibbāna qui englobe tout le périmètre ». Lorsqu’on sort le riz de l’étuve, il est encore chaud, mais il n’est plus chauffé. Pour désigner cet état particulier, on dit que le riz est dans le parinibbāna. Il n’a pas disparu, rien n’a disparu ; cependant, il y a quelque chose qui a cessé d’être. Bouddha emploi ce terme pour désigner cet élément, cette chose qui est vide de peine, vide de sensation, vide de bonheur, vide de plénitude. Il emploie le mot « parinibbāna », qu’il a emprunté au langage courant de ses contemporains. nibbāna est assurément une chose mais il est impossible d’en parler, de la désigner, de la toucher ou de la sentir. Cependant, c’est bel et bien une chose qui doit être là, qui doit être quelque part, mais impossible à localiser. C’est une chose qui ne doit pas être dans le monde, véritablement, mais qui pourtant, ne peut – par définition – pas lui être étranger.

Le terme utilisé par Bouddha pour désigner ce genre de phénomène, est « loka uttara ». « loka » voulant dire « le lieu », « la localisation », et « uttara » qui signifie « en deçà de », « antérieur à », et non pas « au-delà de », contrairement à ce que de nombreux érudits affirment. « loka uttara » ne signifie donc pas « au-delà du monde », mais « en deçà du monde », « qui est antérieur au monde ». Bien entendu, le choix de ce mot, par Bouddha, n’est pas le fruit du hasard. Selon lui, nibbāna est antérieur au monde et non pas au-delà. En gros, c’est ce qu’il se passe lorsque le monde ne se passe pas. Donc, c’est ce qui se passe avant le monde. C’est ce qui est antérieur au monde, avant la formation du monde, c’est-à-dire, l’apparition des phénomènes, quels qu’ils soient. Il serait inutile de s’étendre longuement sur nibbāna, mais utile de réfléchir un instant et de se dire : « il doit y avoir, dans ce monde, l’alternative à la souffrance, à la peine, à la misère, au stress. Cette alternative, si elle existe, doit être quelque chose de parfaitement vide, vide d’expérience, vide de sensation. »

En suivant la voie tracée par Bouddha, en écoutant son enseignement, en suivant l’entraînement qu’il a préconisé, celui de l’établissement de la présence d’esprit (satipaṭṭhāna vipassanā), nous sommes censés arriver à faire cette expérience insolite de l’éveil. Il dit d’ailleurs que c’est la seule voie qui y mène.

Comment faire le lien entre l’élément éteint et notre vie quotidienne ?

Nous pouvons essayer de voir concrètement, ce que faire l’expérience de l’élément éteint peut nous apporter dans nos vies quotidiennes d’instituteur, d’ouvrier, de médecin, de chômeur, d’homme, de femme, de riche, de pauvre, de lettré, d’illettré, de vieux, de jeune. Cela est une chose. En quoi cela va-t-il nous permettre de souffrir moins, d’être moins mal à l’aise, d’être moins dans la misère, dans le stress, dans la difficulté, quitte à ce que ce soit aussi être moins dans les plaisirs, moins dans les petits bonheurs de la vie ? Comment peut-on faire le lien entre ce qui est antérieur au monde, ce qui est vide, avec ce que nous expérimentons aujourd’hui, qui est bel et bien dans le monde, qui est palpable, et pas du tout vide de sensation, mais plein de sensations, de turpitudes, de peines, de difficultés, de stress, de misères, de joies, de compassion, d’amour, de bonheur, de gaieté ? Quel lien y a-t-il d’ailleurs entre ces deux choses ? Est-ce qu’atteindre l’éveil veut-il dire soudainement se fondre ? Cela veut-il dire que soudainement le corps disparaît, que la conscience disparaît, que tout disparaît ? Y a-t-il un passage du monde vers l’en deçà du monde, un passage de notre vie quotidienne vers une espèce de non-vie ? Si tel était le cas, quel en serait l’intérêt ?

Ce que les êtres veulent, le plus légitimement du monde, c’est d’arriver dans leur vie quotidienne à expérimenter moins de souffrance. Le seul fait qu’il y ait de la vie, il y a de la difficulté, du stress. Tout le monde est d’accord avec cela. Cependant, nous sommes condamnés à vivre, nous n’avons pas le choix. Alors comment gérer l’espace de temps qui nous sépare entre le moment où nous avons compris et admis ceci, et le dernier moment de notre vie, celui où nous allons mourir (après, on ne sait pas du tout ce qui peut se passer). Ce qu’il y a d’intéressant, dans la démarche du satipaṭṭhāna – et ce n’est bien entendu pas le fruit du hasard –, lorsqu’on est arrivé à faire l’expérience de cet élément éteint, qui n’est pas dans le monde, mais qui le précède, c’est qu’une fois cette expérience passée, beaucoup de choses ont changé. Ces choses qui ont changé, c’est bel et bien dans le monde qu’elles ont changé.

Le défrichage complet

Ce qui a changé, c’est que notre mental est moins pollué (de désirs, d’attachements, de fascinations, de colère, de haine, d’aversion et d’indifférence). Ce qui a changé, c’est nous, tout simplement. C’est un peu comme dans un champ de blé où il y a de la mauvaise herbe ; cela empêche d’apprécier pleinement le blé. L’expérience de l’éveil est une expérience, de défrichage complet ; il n’y a rien qui pousse. Cette expérience passée, le monde est encore là, les phénomènes sont encore là. Rien n’a disparu, enfin, pas tout à fait. Pour enlever la mauvaise herbe, nous avons la possibilité d’arracher les brins un à un, en évitant d’abîmer le blé qui est précieux, ce qui est très difficile et très long, voire impossible. Lorsque nous arriverions à la fin du champ, il est probable que la mauvaise herbe aurait recommencé à pousser au début.

L’approche qui est suggérée, est l’expérience de l’éveil où rien ne se manifeste, où rien ne pousse. Et force est de constater qu’après ce défrichage, le blé repousse mieux, et il y a moins de mauvaises herbes, beaucoup moins de mauvaises herbes. Lorsque nous rasons de nouveau tout et que nous replantons du blé, il y a encore moins de mauvaises herbes. Il arrive un moment où, à la quatrième plantation, il n’y a plus de mauvaises herbes. Lorsque nous avons fait l’expérience de l’éveil quatre fois, bien entendu, tout le monde est là, tous les phénomènes sont encore là, l’univers entier est encore là, rien n’a disparu. Néanmoins, il y a une mauvaise herbe qui a disparue, qui n’est plus du tout présente. Il n’y a plus d’émotions, plus de peine, plus de colère, plus de jalousie, plus d’adversité, plus de haine, plus d’ignorance.

Si nous sommes arrivés à la fin de la souffrance dans ce monde ici-bas, ce n’est pas pour avoir enlevé quelque chose au monde, ce n’est pas non plus pour lui avoir substitué autre chose ; une espèce de transcendance — en l’occurrence les jhāna. Si nous sommes arrivés à un état de bien être dans ce monde, c’est parce que nous avons enlevé de ce monde tous nos comportements malsains, toutes nos attitudes malsaines et par conséquent, nous avons aussi enlevé de ce monde tous nos comportements sains et toutes nos attitudes saines. Nous ne produisons plus d’attitudes ou de comportements susceptibles d’amener des conséquences déplaisantes, douloureuses, ni d’attitudes ou de comportements susceptibles d’amener des conséquences plaisantes et heureuses. Cette incapacité à produire encore de telles activités, est due au fait que nous avons fait l’expérience de l’élément éteint, de ce loka uttara. Voilà le lien qu’il y a entre le monde et la cessation du monde. C’est que lorsqu’il y a eu la cessation du monde, le monde revient, tout revient… moins quelques ingrédients. Il n’y a rien eu à transformer, il n’y a rien eu à transmuter, il n’y a rien eu à rejeter, il n’y a rien eu à adopter. Il n’y a aucun rite, aucune prière, aucune méditation, aucun mantra, aucune démarche, aucune technique, aucune procédure. Il n’y a pas besoin d’institution, ni de maître, ni d’adopter un uniforme particulier ou des comportements particuliers. Au contraire, la première chose à faire est de commencer par arrêter tout ça.

Dans un premier temps, nous pouvons commencer par arrêter beaucoup de comportements, avant même d’entrer dans la voie de vipassanā. Nous pouvons commencer par dégrossir, en arrêtant des comportements du corps et des paroles qui génèrent instantanément de la peine, de la souffrance, des problèmes, des complications.

Ne rien faire

Pour ce qui est d’arrêter les attitudes mentales, les idées, les comportements, la névrose, on ne peut pas arriver à cela par une maîtrise des comportements physiques ou verbaux. Il faudrait pour cela, soit pratiquer une méditation qui nous amène à un état de sérénité et de force intérieures, mais nous aurions alors un résultat temporaire (qui pourrait durer toute la vie mais qui serait tout de même temporaire), soit arriver à ce que ces choses-là n’apparaissent plus d’elles-mêmes. Nous pouvons par exemple, contrôler le désir par des exercices de méditation qui nous amènent à une expérience de plénitude, vide de désir, ce qui est très bien. Ne rien contrôler, ne rien faire, n’employer aucune technique, aucun exercice, aucune méditation, et constater de fait, que le désir a totalement disparu, qu’il n’apparaît pas, alors que pourtant, tout l’environnement est le même, c’est beaucoup mieux.

Lorsque nous avons une maladie et que nous prenons des médicaments, nous allons réussir à éliminer la bactérie, le microbe ou le virus responsable de la maladie. Toutefois, nous n’avons pas la garantie qu’il ne réapparaîtra plus jamais. Il est déjà bien d’avoir traité la maladie, mais elle peut revenir.

Voilà pourquoi dans notre démarche, nous ne sommes pas particulièrement attirés pas les jhāna, l’expérience de la béatitude, l’expérience mystique, de la divinité. Ce qui nous intéresse dans notre démarche, c’est d’arriver à évacuer la peine, la misère, la difficulté, le stress – paradoxalement – sans entreprendre un exercice technique pour y arriver. Sinon, ce serait le résultat de cet exercice, et nous voulons un résultat durable qui ne soit pas le résultat d’un exercice.Voilà comment nous faisons dans notre démarche raisonnable et raisonnée. Il est vrai que pour arriver à ce que de notre mental n’apparaissent plus ces éléments qui sont générateurs de stress, qui sont eux-mêmes le stress, il faut avoir fait une expérience qui nous ait mis en contact avec quelque chose qui ne se situe pas dans ce monde. Il s’agit paradoxalement d’une expérience où il n’y a pas de contact avec cet objet, puisqu’il ne situe pas dans ce monde.

L’élément éteint

Cet objet, cette chose, est ce qu’on appelle nibbāna. On l’appelle parfois aussi dhamma dhatu – l’élément de la chose – ou suññata dhatu – l’élément vide –, « suñña » signifie « vide » et « ta » signifie « ce qui est ». De la même manière, « obscur » signifie « sans lumière » et « té » signifie « ce qui est ». L’obscurité est « ce qui est sans lumière ». Pourtant, ce n’est pas une chose qui existe, ce n’est pas une chose en soi, ce n’est pas un phénomène que l’on pourrait prendre ou toucher ; c’est l’absence de lumière. nibbāna, c’est la même chose, c’est pourquoi nous l’appelons « ce qui est vide ». Voilà ce qui discerne notre démarche des pratiques habituelles de méditation qu’on rencontre dans diverses écoles. Voilà, ce qui nous éloigne, a fortiori, de la société de consommation aveugle.

Vous remarquerez que souvent, les personnes qui adhèrent à une tradition spirituelle ont tendance à cracher sur le monde de la consommation, en disant à propos des autres : « Ce sont des gens qui courent après les plaisirs des sens, qui croient trouver un certain bonheur dans le matériel, mais nous, nous avons quelque chose de plus, nous sommes dans le spirituel ». Vous remarquerez que les matérialistes diront : « Les gens qui sont dans le spirituel sont dans un rêve, ils s’imaginent des tas de choses et s’astreignent à toutes sortes de disciplines, qui finalement, les contraignent et ne les mènent pas au bonheur, car tout est basé sur du rêve ».

Chacun campe sur ses positions et il est convaincu d’avoir raison. Ce que nous pouvons dire, est que l’un comme l’autre n’a pas tout à fait tord. C’est la raison pour laquelle nous ne nous engageons pas ; ni dans la voie de la spiritualité, ni dans celle du matérialisme.

Il n’y a pas de bonheur en dehors de celui qu’on peut trouver dans la vie

La voie de la spiritualité est suivie par ceux qui croient dans le bonheur éternel, dans la conscience éternelle, dans l’unité éternelle, état de félicité, de bonheur absolu. La voie du matérialisme est suivie par ceux qui ne croient en rien et qui croient qu’au moment de la mort, tout disparaît, que tout est totalement détruit. C’est pour cela qu’on dit qu’ils ne croient en rien. Pour eux, la vie est apparue au moment de la naissance et s’arrêtera au moment de la mort, et entre les deux, « il faut en profiter au maximum ». Nous évitons ces deux extrêmes, qui sont basés, selon nous, sur une méprise, sur une mécompréhension. Nous ne nous intéressons pas beaucoup à un hypothétique bonheur au-delà de la vie, et nous avons cessé de courir, parce que nous sommes assez murs et intelligents pour avoir compris qu’il n’existe pas de bonheur en dehors de celui qu’on pourrait trouver dans cette vie.

Nous sommes dans la situation de celui qui, après avoir tourné pendant longtemps dans les couloirs du métro, est désespérément à la recherche des toilettes pour se soulager. Nous sommes dans la situation de celui qui est fatigué et qui voudrait se soulager. C’est aussi simple que ça. Pour se soulager, nous allons – évidemment – vers une certaine direction, et nous allons vers ce qui est comme un abri, comme un refuge, comme une protection. C’est-à-dire que nous allons là où il n’y a en fait pas grand-chose à faire. Toutefois, nous allons là où nous n’avons rien à attendre, tout comme celui qui s’abrite de la pluie n’attend rien, ni de la pluie, ni de l’abri, mais simplement, il s’abrite de la pluie. De la même manière, en marchant vers Bouddha, en marchant vers le dhamma, en marchant vers le saṃgha, nous n’attendons rien. Simplement, nous nous mettons à l’abri.

Pour nous abriter des vicissitudes, des souffrances et des peines, il y a la protection de sīla – la vertu – qui est la protection au niveau du corps. Nous nous entraînons à nous abstenir de faire des choses malsaines, douloureuses, pénibles, génératrices de souffrance. Nous effectuons cet entraînement au niveau le plus grossier, le plus palpable, le plus matériel, c’est-à-dire au niveau du corps, celui-là même dans lequel se réjouissent les matérialistes. Nous nous entraînons aussi, dans la mesure du possible, à une certaine qualité d’attention, de vigilance, de concentration, de présence d’esprit, qui doit aussi nous garder de nous laisser aller à des comportements qui soient exclusivement basés sur les fascinations des désirs sensoriels. Enfin, nous nous entraînons sur cette voie insolite. Elle est insolite car désespérément désertique, vide de repères, dans laquelle on se sent souvent un peu seul, comme délaissé, dans laquelle on a parfois l’impression qu’on se déconnecte du monde parce qu’on a du mal à trouver nos repères habituels. C’est la voie de l’établissement de la présence d’esprit qui mène à la vision directe dans la réalité, vipassanā.

Celle-ci nous amènera non seulement à abandonner les comportements du corps et du verbe, mais aussi à observer par nous-mêmes la disparition des comportements du mental – de la pensée –susceptibles d’apporter de la peine, de la misère, de la souffrance, mais aussi d’apporter du bonheur et de la jouissance. Nous avançons vers l’expérience de nibbāna, qui est l’expérience de la cessation.

Comment ce qui est vide de sensation peut-il être le bonheur ?

Un jour quelqu’un demanda au Vénérable Sāriputtarā : « Vous dites que nibbāna est totalement vide de sensation. Comment ce qui est vide de sensation peut-il être le bonheur ? » Le Vénérable Sāriputtarā lui répond : « C’est justement parce qu’il n’y a pas de sensation que cela est le bonheur parfait. » Il n’y a pas d’expérience véritablement de nibbāna. Il n’y a pas de pratique de nibbāna, ni de conscience de nibbāna. S’il y a un travail à faire pour cela, il faut le faire avant, car ce travail disparaît au moment de l’éveil. Ce moment est nibbāna, c’est-à-dire ce qui est antérieur au monde. Le travail que nous faisons, nous le faisons dans ce monde, les conséquences – les effets – pour nous, dans nos vies quotidiennes, se passent dans ce monde. Et cela, même si nous avons fait un petit crochet juste avant ; un petit crochet vers ce qui le précède.

Nous pouvons espérer progresser sur cette voie qui nous amènera à l’expérience de l’éveil, ou de nibbāna, pour employer le mot que Bouddha employait lui-même. Nous pouvons également souhaiter, bien entendu, que les êtres qui vivent dans ce monde, qui ne sont pas en mesure de réfléchir, de douter ou de comprendre, puissent un jour, une fois dans leur vie, ou dans une autre vie, rencontrer l’Enseignement. C’est-à-dire, qu’ils puissent faire l’expérience du monde, faire l’expérience des choses de la vie, réfléchir, comprendre, avancer sur cette voie et, à leur tour, arriver à nibbāna. Nous pouvons espérer, même si cela peut paraître un peu utopique, qu’un jour, tous les êtres qui vivent dans cet univers – qui est si vaste – puissent rencontrer cet enseignement et arriver enfin à l’expérience de la libération, l’expérience de la fin complète de la souffrance.

sādhu ! sādhu ! sādhu !

infos sur cette page

Origine : Enseignement délivré à Bagneux (France)

Auteur : Moine Sāsana

Date : 2002

Mise à jour : 10 juin 2005

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