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Ainsi ai-je entendu.
En ce temps-là le Bienheureux séjournait, près de Sāvatthi, dans le parc Anāthapiṇḍika du bois Jéta. C’est là que le Vénérable Sāriputta s’adressa aux moines :
— Moines, mes amis !
— Mon ami, lui répondirent les moines.
Et le Vénérable Sāriputta leur dit ceci :
— On peut, mes amis, trouver dans le monde quatre types d’individus. Lesquels ? On peut trouver des individus impurs qui ne reconnaissent pas bien qu’ils ont de l’impureté en eux, on peut trouver des individus impurs qui reconnaissent clairement qu’ils ont de l’impureté en eux, on peut trouver des individus purs qui ne reconnaissent pas bien qu’ils n’ont pas d’impureté en eux, et on peut trouver des individus purs qui reconnaissent clairement qu’ils n’ont pas d’impureté en eux.
Entre les deux individus impurs, mes amis, on déclare inférieur celui qui ne reconnaît pas bien qu’il a de l’impureté en lui, et on déclare supérieur celui qui reconnaît clairement qu’il en a. Entre les deux individus purs, on déclare inférieur celui qui ne reconnaît pas bien qu’il n’a pas d’impureté en lui, et on déclare supérieur celui qui reconnaît clairement qu’il n’en a pas.
Ainsi parla le Vénérable Sāriputta.
Alors, le Vénérable Mahāmoggallāna lui demanda :
— Pour quelle cause, ami Sāriputta, pour quelle raison considère-t-on l’un des deux individus impurs comme inférieur et l’autre comme supérieur ? Pour quelle cause, pour quelle raison considère-t-on l’un des deux individus purs comme inférieur et l’autre comme supérieur ?
— Dans le cas de l’individu impur qui ne reconnaît pas sa propre impureté, mon ami, on doit s’attendre à ce qu’il n’engendre aucune aspiration, aucun effort ni aucune énergie visant à supprimer cette impureté, et à ce qu’il finisse sa vie dans l’attachement, dans l’aversion, la confusion et l’impureté, avec un mental plein de souillures.
Si l’on apporte d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal couvert de poussière et de taches, et que ses propriétaires ne le lavent pas, ne le nettoient pas et le déposent dans un endroit poussiéreux, ce plat se salira-t-il et se tachera-t-il encore plus ?
— Certainement, mon ami.
— De même, mon ami, on doit s’attendre à ce que l’individu impur qui ne reconnaît pas bien sa propre impureté n’engendre aucune aspiration, aucun effort ni aucune énergie visant à supprimer cette impureté, et à ce qu’il finisse sa vie dans l’attachement, l’aversion, la confusion et l’impureté, avec un mental plein de souillures.
Mais dans le cas, mon ami, de l’individu impur qui reconnaît clairement sa propre impureté, on peut s’attendre à ce qu’il engendre une aspiration, des efforts et une énergie visant à supprimer cette impureté, et à ce qu’il finisse sa vie sans attachement, sans aversion, confusion ni impureté, avec un mental libre de toute souillure.
Si l’on apporte d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal couvert de poussière et de taches, mais que ses propriétaires le lavent, le nettoient et ne le posent pas dans un endroit poussiéreux, ce plat sera-t-il de plus en plus propre, de mieux en mieux nettoyé ?
— Certainement, mon ami.
— De même, mon ami, on peut s’attendre à ce que l’individu impur qui reconnaît clairement sa propre impureté engendre une aspiration… et à ce qu’il finisse sa vie… avec un mental libre de toute souillure.
Dans le cas de l’individu pur qui ne reconnaît pas sa propre pureté, mon ami, on doit s’attendre à ce qu’il prête attention à la beauté. Or s’il prête attention à la beauté, la passion effritera son esprit(*) et il finira sa vie dans l’attachement, l’aversion, la confusion et l’impureté, avec un mental plein de souillures.
En détruisant les kusala pour leur substituer des akusala.
Si l’on apporte d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal propre et bien nettoyé, mais que ses propriétaires ne le lavent pas, ne le nettoient pas et le déposent dans un endroit poussiéreux, ce plat se salira-t-il et se tachera-t-il peu à peu ?
— Certainement, mon ami.
— De même, mon ami, on peut s’attendre à ce que l’individu pur qui ne reconnaît pas sa propre pureté… finisse sa vie avec un mental plein de souillures.
Et dans le cas, mon ami, de l’individu pur qui reconnaît sa propre pureté, on peut s’attendre à ce qu’il ne prête pas attention à la beauté. Or s’il ne prête pas attention à la beauté, la passion n’effritera pas son esprit et il finira sa vie sans attachement, sans aversion, confusion ni impureté, avec un mental libre de toute souillure.
Si l’on apporte d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal propre et bien nettoyé, et que ses propriétaires le lavent, le nettoient encore et ne le posent pas dans un endroit poussiéreux, ce plat sera-t-il de plus en plus propre et de mieux en mieux nettoyé ?
— Certainement, mon ami.
— De même, mon ami, on peut s’attendre à ce que l’individu pur qui reconnaît clairement sa pureté… finisse sa vie… avec un mental libre de toute souillure.
Telle est la cause, ami Moggallāna, telle est la raison pour laquelle on déclare inférieur l’un des deux individus impurs, et l’autre supérieur. Telle est la cause, telle est la raison pour laquelle on déclare inférieur l’un des deux individus purs, et l’autre supérieur.
— Impureté, mon ami, on parle ici et là d’impureté. Que signifie ce mot impureté ?
— Par le mot impureté, mon ami, on désigne les comportements mauvais et pernicieux qui sont dus au désir. Ainsi trouve-t-on le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Si je commets une faute, puissent les autres moines ne pas apprendre que je l’ai commise ! » Mais il se peut que les autres moines apprennent qu’il a commis la faute, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Si je commets une faute, puissent les autres moines me réprimander en privé et non au milieu d’une assemblée ! » Mais il se peut que les autres moines le réprimande en pleine assemblée et non en privé, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Si je commets une faute, puissé-je être réprimandé par un homme semblable à moi et non par un homme différent(*) ! » Mais il se peut que ce soit un homme différent qui le réprimande, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
Un homme qui a commis le même type de faute et dont la réprimande sera donc moins dure. Ou un homme de la même caste, du même clan, d’une égale érudition ou qui fait le même type de pratique ; son admonestation sera moins sévère.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Quand il enseigne le Dhamma, puisse le Bienheureux m’interroger, moi, et non un autre moine(*) ! » Mais il se peut que le Bienheureux interroge un autre moine et non lui, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
C’étaient les grands disciples que le Bienheureux interrogeait lors des enseignements comme un moyen de faire progresser son exposé du Dhamma. Être interrogé était un honneur.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Puissè-je marcher en tête des moines quand ils entrent dans un village pour faire leur collecte ! Que ce ne soit pas un autre moine qui marche à leur tête ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qui marche en tête lors de l’entrée dans le village, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Puissè-je recevoir une nourriture excellente, une place excellente, une eau excellente, une bouchée excellente ! Que ce ne soit pas un autre qui les reçoive ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qui les reçoive, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Que ce soit moi qui rende grâces après un repas excellent ! Que ce ne soit pas un autre moine ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qui rend grâces après le repas excellent, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Que ce soit moi qui enseigne le Dhamma aux moines… aux moniales… aux upāsaka hommes… aux upāsaka femmes rassemblées dans le parc ! Que ce ne soit pas un autre moine ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qui leur enseigne le Dhamma, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Puissent les moines… les moniales… les upāsaka hommes… les upāsaka femmes m’honorer, me révérer, me vénérer et m’offrir des présents ! Puissent-ils ne pas le faire à un autre moine ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qu’ils honorent, révèrent, vénèrent, à qui ils offrent des présents, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
On trouve aussi le cas où un moine nourrit le désir suivant : « Puissè-je recevoir les meilleures robes… la meilleure nourriture… le meilleur logement… les meilleurs médicaments ! Que ce ne soit pas un autre moine qui les reçoive ! » Mais il se peut que ce soit un autre moine qui les reçoive, auquel cas ce moine sera contrarié et furieux. Cette contrariété et cette fureur sont l’une et l’autre des impuretés.
Voilà, mon ami, les comportements mauvais et pernicieux dus au désir que l’on désigne par le mot impureté.
Tout moine, mon ami, dont on verra ou dont on entendra dire qu’il n’a pas renoncé à ces mauvais comportements, même s’il vit seul dans la forêt, même s’il se nourrit de restes en faisant sa collecte de maison en maison, même s’il se vêt de rebuts et porte des robes grossières, même alors, ses compagnons dans la vie sainte ne l’honoreront pas, ne le révéreront pas, ne le vénéreront pas et ne lui offriront pas de présents.
Pourquoi ?
Parce qu’ils auront vu ou entendu dire que ce vénérable n’a pas renoncé à ces mauvais comportements.
Si l’on apportait, mon ami, d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal, propre et bien nettoyé, mais que ses propriétaires y disposaient un cadavre de serpent, un cadavre de chien ou un cadavre d’homme, qu’ils le recouvraient d’un couvercle et le rapportaient à l’échoppe, la foule s’écrierait en voyant le plat fermé : « Voyons quel délice on apporte là. » On poserait le plat et on l’ouvrirait pour l’admirer. Ce que la foule y verrait la remplirait d’horreur, de dégoût, de répulsion. Même les plus affamés ne voudraient pas en manger, encore moins les rassasiés.
De même, mon ami, tout moine dont on verra ou dont on entendra dire qu’il n’a pas renoncé à ces mauvais comportements, même s’il vit seul dans la forêt, même s’il se nourrit de restes en faisant sa collecte de maison en maison, même s’il se vêt de rebuts et porte des robes grossières, même alors, ses compagnons dans la vie sainte ne l’honoreront pas, ne le révéreront pas, ne le vénéreront pas et ne lui offriront pas de présents parce qu’ils auront vu ou entendu dire que ce vénérable n’a pas renoncé à ces mauvais comportements.
Et tout moine, mon ami, dont on verra ou dont on entendra dire qu’il a renoncé à ces mauvais comportements pernicieux dus au désir, même s’il réside près d’un village, même s’il accepte les invitations à dîner, même s’il porte des robes données par les maîtres de maison(*), même alors, ses compagnons dans la vie sainte l’honoreront, le révéreront, le vénéreront et lui offriront des présents. Pourquoi ? Parce qu’ils auront vu ou entendu dire que ce vénérable a renoncé à ces mauvais comportements.
Ce moine néglige les pratiques ascétiques (dhutaṅga) : en résidant près d’un village, il ne vit pas isolé dans la forêt ; en acceptant les invitations, il ne reçoit pas sa nourriture de maison en maison ; et en portant les robes donnés par les maîtres de maison, il ne se vêt pas de rebuts.
Si l’on apportait, mon ami, d’une échoppe ou d’un atelier d’orfèvre un plat en métal, propre et bien nettoyé, et que ses propriétaires y disposaient un excellent riz dont on a retiré les points noirs, avec des currys et des friandises, le recouvraient d’un couvercle et le rapportaient à l’échoppe, la foule s’écrierait en voyant le plat fermé : « Voyons quel délice on apporte là. » On poserait le plat et on l’ouvrirait pour l’admirer. Ce que la foule y verrait la remplirait d’aise, exciterait son appétit et son désir. Même les mieux rassasiés voudraient en manger, combien plus les affamés.
De même, mon ami, tout moine dont on verra ou dont on entendra dire… qu’il a renoncé à ces mauvais comportements, même s’il réside près d’un village… ses compagnons dans la vie sainte l’honoreront… parce qu’ils auront vu ou entendu dire que ce vénérable a renoncé à ces mauvais comportements.
Ainsi parla le Vénérable Sāriputta.
Le Vénérable Mahāmoggallāna prit alors la parole :
— Il me vient une comparaison, ami Sāriputta.
— Expose-la, ami Moggallāna.
— Il fut un temps, mon ami, où je résidais, près de Rājagaha, dans l’Étable des Collines. Un matin où je m’étais tôt vêtu, je pris mon bol et ma robe, et j’allai à Rājagaha pour faire ma collecte. À ce moment Samîti, le fils du carrossier, taillait une jante de roue avec une hache, et près de lui se tenait l’ascète nu(*) Pandaputta, le fils d’un ancien carrossier.
De la secte des Ājīvika, dont le gourou, contemporain du Bouddha, se nommait Makkhali Gosāla.
Or dans l’esprit de l’ascète nu Pandaputta se forma le souhait que Samîti taille les bosses, les irrégularités et les défauts du bois de telle façon que la jante perde ses bosses, ses irrégularités et ses défauts jusqu’à devenir bien lisse, et que seul reste le cœur du bois. Et justement, Samîti se mit à tailler les bosses, les irrégularités et les défauts de cette jante comme s’il suivait la pensée de l’ascète nu. Celui-ci en fut ravi et laissa s’échapper cette parole de satisfaction : « On dirait bien qu’il taille en connaissant mon cœur avec le sien. »
De même, mon ami, on dirait bien que le Vénérable Sāriputta façonne cet enseignement du Dhamma en connaissant avec son cœur celui des individus incrédules, celui de ceux qui ne pensent qu’à leur subsistance(*), de ceux qui ne sont pas passés du foyer au sans-foyer par conviction, des tricheurs, des hypocrites, des escrocs patentés, des orgueilleux, des arrogants, des inconstants, des grossiers, des bavards, de ceux qui ne contrôlent pas leurs sens, de ceux qui ne connaissent pas la juste quantité de nourriture, de ceux qui ne se consacrent pas à sati, de ceux qui n’observent pas l’ascèse, de ceux qui n’attachent pas grande importance à l’entraînement, de ceux qui accumulent beaucoup, de ceux qui sont relâchés, de ceux qui butent sur les obstacles, de ceux qui sont toujours fatigués et qui manquent d’énergie, qui manquent de vigilance et de pleine conscience, qui manquent de samādhi et dont l’esprit erre, et de ceux qui manquent de pañña et sont stupides.
Ceux qui se font moines parce qu’ils sont incapables de s’assumer tout seuls.
Mais il y a aussi des fils de bonne famille, convaincus, qui sont passés du foyer au sans-foyer par conviction, qui ne trichent pas, ne dissimulent ni ne fraudent, qui sont modestes, réservés, persévérants, aimables, sérieux, qui contrôlent leurs sens, qui connaissent la juste quantité de nourriture, qui se consacrent à la vigilance, qui observent l’ascèse, qui jugent l’entraînement important, qui n’accumulent pas, ne sont pas relâchés, dépassent les obstacles, vont vers la solitude, sont énergiques, résolus, vigilants, pleinement conscients, concentrés, focalisés, sagaces et intelligents. Quand ils entendent cet enseignement du Dhamma dispensé par le Vénérable Sāriputta, c’est comme s’ils buvaient ses paroles, c’est comme s’ils absorbaient son esprit. Qu’il est beau de voir ses compagnons dans la vie sainte émerger du pernicieux pour s’établir dans le bénéfique !
Quand un jeune homme ou une jeune fille qui aime les beaux ornements s’est lavé le visage et reçoit un collier de lotus, de jasmin ou d’atimuttaka, il le reçoit à deux mains et le porte avec respect au sommet de sa tête.
De même, mon ami, quand les fils de bonne famille, convaincus… entendent cet enseignement du Dhamma dispensé par le Vénérable Sāriputta, c’est comme s’ils buvaient ses paroles, c’est comme s’ils absorbaient son esprit. Qu’il est beau de voir ses compagnons dans la vie sainte émerger du pernicieux pour s’établir dans le bénéfique ! »
Voilà comment ces deux grands nāgas(*) se réjouirent mutuellement de leurs bonnes paroles.
Nāga : être mythique représenté parfois comme un grand serpent, parfois comme un grand éléphant.
Origine : Enseignements et discussions entre Bouddha, ses disciples, ses antagonistes… (Nord de l’Inde actuelle)
Date : Ve siècle avant notre ère
Traducteur : Christian Maës
Mise à jour : 25 févr. 2011