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MN 22 - alagaddūpama sutta

Le récit du serpent

Les laïcs peuvent jouir des plaisirs sensoriels et atteindre les états d’Entrée-dans-le-courant (sotāpatti), d’Un-seul-retour (sakadāgāmī) et de Sans-retour (anāgāmī), mais non l’Accomplissement (arahatta). Les moines peuvent bénéficier de coussins moelleux, de nourritures agréables et d’autres plaisirs sensoriels. Quiconque observe ces faits sans être capable de distinguer entre une action due au désir et une autre détachée du désir, peut s’imaginer qu’aucun plaisir sensoriel ne constitue un empêchement irrémédiable à l’Accomplissement, même pas les relations avec les femmes qui posaient souvent de grands problèmes aux moines.

Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Bienheureux séjournait, près de Sāvatthi, dans le Parc Anāthapiṇḍika du Bois Jéta.

Or un moine du nom d’Arittha, un ancien fauconnier, eut cette idée fausse : « Tel que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux, le simple fait de s’adonner aux choses que le Bienheureux qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle(*). »

Il pense qu’elles ne font obstacle ni au ciel ni à la délivrance. Il ne connaît qu’une partie des « obstacles » et ne voit pas en quoi le plaisir pris dans les relations avec les femmes – les voir, les entendre, les sentir, les toucher – ferait obstacle.

Plusieurs moines apprirent que le moine Arittha avait cette idée fausse, ils allèrent le trouver et lui demandèrent :

— Est-il vrai comme on le dit, ami Arittha, que tu nourris cette idée : « Tel que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux (bhagavant), le simple fait de s’adonner aux choses que le Bienheureux qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle » ?

— C’est bien ainsi, mes amis, que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux : le simple fait de s’adonner aux choses que le Bienheureux qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle.

Désirant détourner Arittha de cette croyance fallacieuse, les moines l’interrogèrent, le pressèrent de questions et le sermonnèrent :

— Ne parle pas ainsi, ami Arittha, ne contredis pas le Bienheureux car il n’est pas bon de le contredire. Le Bienheureux ne parle pas ainsi, il a au contraire décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle et il a déclaré que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle. Il a montré que les plaisirs sensoriels n’étaient nullement délectables, mais au contraire, très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. Le Bienheureux les a comparés à un tas d’os, à un morceau de viande, à une torche de paille, à une fosse pleine de braises, à un rêve, à un emprunt, à un arbre fruitier, à un billot, à un pal et à une tête de serpent, toutes choses nullement délectables, mais au contraire très désagréables, fortement perturbantes et pleines d’inconvénients(*).

Le tas d’os n’a rien d’agréable, le morceau de viande rien de raffiné, la torche de paille et la fosse pleine de braises brûlent douloureusement, le rêve manque de réalité, l’emprunt ne dure qu’un temps, l’arbre fruitier croule sous le poids des fruits, le billot, le pal et la tête de serpent annoncent de terribles souffrances. Quand on les observe lucidement, les plaisirs sensoriels présentent les mêmes défauts.

Bien qu’interrogé, pressé de questions et sermonné par les moines, Arittha s’en tenait obstinément à son idée fausse, il répétait avec entêtement : « Tel que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux, le simple fait de s’adonner aux réalités que le Bienheureux qualifie d’obstacle ne suffit pas à faire obstacle ».

Comme ils n’arrivaient pas à détourner le moine Arittha de sa croyance fallacieuse, les moines allèrent trouver le Bienheureux. Ils le saluèrent en arrivant et s’assirent convenablement. Une fois bien assis, ces moines racontèrent au Bienheureux tout ce qui s’était passé.

Alors, le Bienheureux s’adressa à un autre moine :

— Va de ma part, moine, convoquer le moine Arittha, l’ancien fauconnier, en lui disant : « Le Bienheureux te convoque, ami Arittha ».

— Bien, Maître.

Le moine obéit au Bienheureux, alla trouver Arittha et lui dit :

— Le Bienheureux te convoque, ami Arittha.

— Bien, mon ami.

Arittha obéit, se rendit auprès du Bienheureux qu’il salua en arrivant, et s’assit convenablement. Quand il fut bien assis, le Bienheureux lui demanda :

— Est-il vrai comme on le dit, ami Arittha, que tu nourris cette idée : « Tel que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux, le simple fait de s’adonner aux choses que le Bienheureux qualifie d’obstacles ne suffit pas à faire obstacle » ?

— C’est bien ainsi, Maître, que je comprends le Dhamma enseigné par le Bienheureux…

— À qui donc crois-tu, homme d’illusion, que j’ai enseigné le Dhamma de cette façon ? N’ai-je pas décrit de différentes façons les réalités qui font obstacles ? N’ai-je pas dit que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle ? J’ai déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables, mais au contraire, très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. J’ai comparé les désirs sensoriels à un tas d’os, à un morceau de viande, à une torche de paille, à une fosse pleine de braises, à un rêve, à un emprunt, à un arbre fruitier, à un billot, à un pal et à une tête de serpent… Mais toi, homme d’illusion, tu m’as contredis par ta mauvaise compréhension, tu t’es discrédité et t’es créé beaucoup de démérite. Cela te vaudra, homme d’illusion, nuisance et malheur pour longtemps.

Arittha n’est toujours pas convaincu, il pense encore que son cas n’est pas désespéré même si le Bienheureux l’a traité d’homme d’illusion, et qu’il peut atteindre le But ultime à condition de fournir les efforts nécessaires. Pour le convaincre enfin de son erreur, le Bienheureux prend les autres moines à témoin.

Puis le Bienheureux s’adressa aux moines :

— Qu’en pensez-vous, moines ? Ce moine Arittha a-t-il brillé dans ce Dhamma-vinaya ?

— Comment cela se pourrait-il, Maître ? Certainement pas !

À ces mots, Arittha resta muet sur sa place, accablé, les épaules tombantes, la tête baissée, anéanti, hébété(*). Voyant qu’Arittha restait muet sur sa place, accablé, les épaules tombantes, la tête baissée, anéanti, hébété, le Bienheureux lui prédit :

— Tu resteras célèbre, homme d’illusion, pour ta croyance erronée. À présent je vais interroger les moines.

Arittha est enfin convaincu. Il adhérait de bonne foi à sa croyance, et voici que celle-ci est anéantie. Il comprend maintenant qu’il ne pourra pas atteindre le but.

Et le Bienheureux demanda aux moines :

— Comprenez-vous mon enseignement, moines, comme cet Arittha qui m’a contredit par sa mauvaise compréhension, qui s’est discrédité et s’est créé beaucoup de démérite ?

— Non, Maître, car le Bienheureux a décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle, le simple fait de s’y adonner suffit à faire obstacle. Le Bienheureux a déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables, mais au contraire, très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients. Le Bienheureux les a comparés à un tas d’os…

— Bien, moines ! Il est bon que vous compreniez ainsi le Dhamma que j’ai enseigné. Car j’ai en effet décrit de différentes façons les réalités qui font obstacle, j’ai bien dit que le simple fait de s’y adonner suffisait à faire obstacle, j’ai déclaré que les désirs sensoriels n’étaient nullement délectables, mais au contraire très désagréables, fortement perturbants et pleins d’inconvénients, et je les ai comparés à un tas d’os… Et malgré cela, ce moine Arittha m’a contredit par sa mauvaise compréhension, il s’est discrédité, s’est créé beaucoup de démérites. Cela vaudra à cet homme d’illusion nuisances et malheurs pour longtemps.

Il n’est pas possible, moines, de s’adonner aux plaisirs sensoriels sans qu’il y ait désirs sensoriels, perceptions sensorielles et pensées sensorielles.

Mais il y a, moines, des hommes d’illusion qui apprennent par cœur le Dhamma – Souttas, Geyya, Veyyākarana, Gātha, Udāna, Itivuttaka, Jātaka, Abbhutadhamma, Vedalla – sans examiner avec sagacité la nature des réalités. Comme ils n’examinent pas les réalités avec sagacité, ils n’en acquièrent pas une expérience claire. Ils ne retirent de l’apprentissage du Dhamma que l’avantage de reprendre autrui en lui assénant des citations, ils n’atteignent pas le But pour lequel on apprend le Dhamma, et la mauvaise saisie des réalités leur vaut nuisances et malheurs pour longtemps. Pourquoi ? Parce qu’ils saisissent mal les réalités.

Supposons, moines, qu’un homme cherche un serpent et se mette en chasse pour en trouver un. Il aperçoit un grand serpent venimeux et le saisit par le corps ou par la queue, mais le serpent se retourne et le mord à la main, au bras ou à une autre partie du corps. Cet homme meurt ou éprouve des souffrances mortelles. Pourquoi ? Parce qu’il a mal saisit le serpent. De même, il y a des hommes d’illusion qui apprennent par cœur le Dhamma… mais la mauvaise saisie des réalités leur vaut nuisances et malheurs pour longtemps parce qu’ils saisissent mal les réalités.

Mais il y a aussi, moines, des fils de bonne famille qui apprennent par cœur le Dhamma… En apprenant le Dhamma, ils examinent avec sagacité la nature des réalités connaissables. En examinant les réalités avec sagacité, ils en acquièrent une expérience claire. Ils ne cherchent pas dans l’apprentissage du Dhamma l’avantage de reprendre autrui en lui assénant des citations, ils atteignent le But pour lequel on apprend le Dhamma, et la bonne saisie des réalités leur vaut bienfaits et bonheurs pour longtemps. Pourquoi ? Parce qu’ils saisissent bien les réalités.

Supposons, moines, qu’un homme cherche un serpent et se mette en chasse pour en trouver un. Il aperçoit un grand serpent venimeux, l’attrape, le tient serré avec un bâton fendu comme un sabot de bouc et le saisit solidement par le cou. Bien que le serpent entoure de ses anneaux la main, le bras ou une autre partie de son corps, cet homme n’en meurt pas et n’en éprouve pas de souffrance mortelle. Pourquoi ? Parce qu’il a bien saisi le serpent. De même, il y a des fils de bonne famille qui apprennent par cœur le Dhamma… et la bonne saisie des réalités leur vaut bienfaits et bonheurs pour longtemps parce qu’ils saisissent bien les réalités.

Par conséquent, moines, comprenez et retenez le sens de mes paroles. Et si vous ne comprenez pas le sens de mes paroles, posez-moi des questions, à moi, ou à des moines avisés.


Je vais aussi vous expliquer, moines, en quoi le Dhamma est semblable à un flotteur, utile pour traverser, mais ne méritant pas qu’on le garde ensuite. Écoutez et faites bien attention, je vais parler.

— Oui, Maître, répondirent les moines.

Le Bienheureux leur dit ceci :

— Un homme chemine sur une grand-route, moines. Il arrive en vue d’un large bras de mer. Cette rive-ci est dangereuse et redoutable, l’autre sûre et tranquille, mais il n’y a pas de barque pour traverser ni de pont pour passer sur l’autre rive. Cet homme réfléchit : « Ce bras de mer est large, cette rive-ci est dangereuse et redoutable, l’autre rive sûre et tranquille, mais il n’y a pas de barque pour traverser ni de pont pour passer sur l’autre rive. Je vais collecter des herbes, du bois, des branches et des feuilles, les lier ensemble pour en faire un flotteur sur lequel je pourrai m’allonger, et jouer des pieds et des mains pour traverser en toute sécurité ».

Cet homme collecte donc des herbes, du bois, des branches et des feuilles, il les lie pour en faire un flotteur sur lequel il s’installe, et en jouant des pieds et des mains il traverse le bras de mer en toute sécurité. Une fois arrivé sur l’autre rive, il se dit : « Ce flotteur est très utile, car c’est en m’installant sur lui et en jouant des pieds et des mains que j’ai traversé en toute sécurité. Je dois maintenant le porter sur ma tête ou le charger sur mon dos et aller ainsi où je veux ». Qu’en pensez-vous, moines ? Est-ce qu’en agissant ainsi cet homme utilise convenablement le flotteur ?

— Certes non, Maître !

— Comment cet homme doit-il agir, moines, pour utiliser convenablement le flotteur ? Une fois le bras de mer traversé, une fois arrivé sur l’autre rive, cet homme doit se dire : « Ce flotteur est très utile, car c’est en m’installant sur lui et en jouant des pieds et des mains que j’ai traversé en toute sécurité. Mais je peux maintenant le poser sur le sol ou le laisser partir sur l’eau, et j’irai ainsi où je veux. » C’est en agissant ainsi, moines, que cet homme utilise convenablement le flotteur. Je vous montre ainsi en quoi le Dhamma est semblable à un flotteur, utile pour traverser, mais ne méritant pas qu’on le garde ensuite. Si vous comprenez cette comparaison du flotteur, moines, vous devez abandonner les réalités. Et combien plus les non-réalités(*) !

Les réalités : la quiétude, samatha, et la supravoyance, vipassanā. Le Latukikopama sutta (66) explique comment se détacher de la quiétude en dépassant le domaine sans perception ni absence de perception. Et dans le Mahātaṅhāsankhaya sutta (38) le Bienheureux enjoint de se détacher de la vision pure elle-même. Les « non-réalités » sont celles qui ont induit Arittha en erreur.


Arittha a dit des sottises à propos des plaisirs sensoriels. Le Bienheureux montre maintenant la source de ce type d’erreur, à savoir certaines croyances.

Il y a ces six croyances, moines. Lesquelles ?

Ici, moines, un être ordinaire, ignorant, qui ne peut voir les ariyā, qui ne peut connaître la Réalité pure et qui n’est pas éduqué à la Réalité pure, qui ne peut voir les Grands Hommes, qui ne peut connaître la Réalité des Grands Hommes et qui n’est pas éduqué à la Réalité des Grands Hommes (voir récit 1), contemple une apparence physique : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome(*) ».

« Ceci est à moi « exprime un désir, taṇhā ; « je suis ceci », une appréciation, mana ; « ceci est mon moi-autonome », une croyance, ditthi.

Il contemple un ressenti : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ».

Il contemple une perception : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ».

Il contemple des composants mentaux : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ».

Il contemple ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent, ce qu’il connaît, ce qu’il atteint, ce qu’il recherche, ce qu’il examine mentalement : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ».

Quant à la croyance « voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité », il la contemple ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome ».

Mais, moines, le disciple noble, instruit, qui voit les ariyā, qui connaît la Réalité pure et qui est éduqué à la Réalité pure, qui voit les Grands Hommes, qui connaît la Réalité des Grands Hommes et qui est éduqué à la Réalité des Grands Hommes, contemple une apparence physique : « Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome ».

Il contemple un ressenti… une perception… des composants mentaux… ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il sent, ce qu’il connaît, ce qu’il atteint, ce qu’il recherche, ce qu’il examine mentalement… la croyance « voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité ». Tout cela il le contemple ainsi : « Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome ».

Et quand il le contemple de cette façon, il ne désire pas ce qui n’est pas.

Ainsi parla le Bienheureux.

Un moine lui demanda :

— Est-il possible, Maître, de désirer une chose extérieure inexistante ?

— C’est possible, moine, répondit le Bienheureux. Quand on pense « ceci fut à moi, mais ne l’est plus » ou « cela pourrait être à moi, mais je ne l’obtiens pas ». Dans ce cas on se plaint, on souffre, se lamente, se frappe la poitrine et tombe dans l’égarement. Voilà comment on peut désirer une chose extérieure inexistante.

— Est-il aussi possible, Maître, de ne pas désirer cette chose extérieure inexistante ?

— C’est possible aussi, moine, répondit le Bienheureux. Quand on ne pense pas « ceci fut à moi, mais ne l’est plus » ou « cela pourrait être à moi, mais je ne l’obtiens pas ». Dans ce cas on ne se plaint pas, ne souffre pas, ne se lamente pas, ne se frappe pas la poitrine et ne tombe pas dans l’égarement. Voilà comment on peut ne pas désirer cette chose extérieure inexistante.

— Mais est-il possible, Maître, de désirer une chose personnelle inexistante ?

— C’est possible, moine, répondit le Bienheureux. Quand on croit « voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité ». Si on entend le Tathagata ou un disciple du Tathāgata délivrer l’Enseignement qui permet d’éradiquer les croyances, d’éradiquer l’adhésion aux croyances, l’envahissement par les croyances et la mauvaise tendance à s’ancrer dans les croyances, qui permet d’apaiser tous les composants mentaux, de se défaire de tous les leurres, de supprimer le désir, de s’en détacher, de l’arrêter et d’atteindre le Dénouement, quand on entend tout cela, on peut penser : « Je serai donc détruit, je serai donc anéanti, je n’existerai donc plus ». Et l’on se plaint, on souffre, se lamente, se frappe la poitrine et tombe dans l’égarement. Voilà comment on peut désirer une chose personnelle inexistante.

— Est-il aussi possible, Maître, de ne pas désirer cette chose personnelle inexistante ?

— C’est possible, moine, répondit le Bienheureux. Quand on ne croit pas « voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité ». Si on entend le Tathāgata ou un disciple du Tathāgata délivrer l’Enseignement qui permet d’éradiquer les croyances, d’éradiquer l’adhésion aux croyances, l’envahissement pas les croyances et la mauvaise tendance à s’ancrer dans les croyances, qui permet d’apaiser tous les composants mentaux, de se défaire de tous les leurres, de supprimer le désir, de s’en détacher, de l’arrêter et d’atteindre le Dénouement, quand on entend tout cela, on ne pense pas : « Je serai donc détruit, je serai donc anéanti, je n’existerai donc plus ». Et l’on ne se plaint pas, on ne souffre pas, ne se lamente pas, ne se frappe pas la poitrine et ne tombe pas dans l’égarement. Voilà comment on peut ne pas désirer cette chose personnelle inexistante.


Si vous vouliez, moines, acquérir une possession permanente, stable, éternelle, immuable, et la garder ainsi pour l’éternité, pourriez-vous trouver une telle possession ?

— Non, Maître.

— Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas une telle possession, permanente, stable, éternelle et immuable, que je puisse garder pour l’éternité.

Si vous vouliez, moines, vous attacher à la saisie-affirmation d’un moi-autonome sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir, pourriez-vous trouver, moines, une telle forme d’attachement qui ne débouche pas sur du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir ?

— Non, Maître.

— Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas d’attachement à la saisie-affirmation d’un moi-autonome sans qu’il en résulte chagrin, lamentations, douleur, insatisfaction et désespoir.

Si vous vouliez, moines, adhérer à une croyance sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir, pourriez-vous trouver, moines, une croyance à laquelle adhérer sans qu’il en résulte du chagrin, des lamentations, de la douleur, de l’insatisfaction et du désespoir ?

— Non, Maître.

— Bien, moines ! Moi non plus je ne vois pas de croyance à laquelle je puisse adhérer sans qu’il en résulte chagrin, lamentations, douleur, insatisfaction et désespoir.

Et, moines, s’il y a un moi, peut-il y avoir un mien(*) ?

— Oui Maître.

Un moi trouvé dans les cinq ensembles (khandhā) internes, et un mien extérieur aux cinq ensembles. Si le moi existe, il peut posséder des objets extérieurs à lui. À l’inverse, si un objet extérieur est perçu comme mien, il doit appartenir à un propriétaire : moi.

— Et s’il y a un mien, moines, peut-il y avoir un moi ?

— Oui Maître.

— Mais quand on ne reconnaît aucun moi ni mien comme réels et véritables, la croyance « voici le monde, me voilà, après la mort je serai permanent, stable, éternel, immuable comme le monde et je demeurerai dans la même éternité » n’est-elle pas une pure et complète ineptie ?

— Comment, Maître, pourrait-elle être autre chose qu’une pure et complète ineptie ?

Que pensez-vous de ceci, moines : le physique est-il permanent ou temporaire (anicca) ?

— Temporaire, Maître.

— Le fait qu’il soit temporaire, est-ce un bonheur ou un malheur ?

— Un malheur, Maître.

— Et ce qui est temporaire, malheureux et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome(*) » ?

— Certainement pas, Maître.

La vacuité évoquée ici se caractérise par le fait qu’on ne peut maîtriser le physique (on tombe malade, on vieillit et on meurt contre son gré). Le Bienheureux introduit la vacuité tantôt à partir du caractère temporaire (anicca) (MN III 282), tantôt à partir du malheur (Vin I 13), tantôt à partir des deux (SN III 82). Car le caractère temporaire est évident quand un objet se brise, le malheur quand on souffre, mais la vacuité ne se laisse pas enfermer dans ces deux seuls aspects.

Que pensez-vous de ceci, moines : le ressenti (vedanā) est-il permanent ou temporaire ?

— Temporaire, Maître.

— Le fait qu’il soit temporaire, est-ce un bonheur ou un malheur ?

— Un malheur, Maître.

— Et ce qui est temporaire, malheureux et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome » ?

— Certainement pas, Maître.

Que pensez-vous de ceci, moines : la perception (saññā) est-elle permanente ou temporaire ?

— Temporaire, Maître.

— Le fait qu’elle soit temporaire, est-ce un bonheur ou un malheur ?

— Un malheur, Maître.

— Et ce qui est temporaire, malheureux et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome » ?

— Certainement pas, Maître.

Que pensez-vous de ceci, moines : les composants mentaux sont-ils permanents ou temporaires ?

— Temporaires, Maître.

— Le fait qu’ils soient temporaires, est-ce un bonheur ou un malheur ?

— Un malheur, Maître.

— Et ce qui est temporaire, malheureux et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome » ?

— Certainement pas, Maître.

Que pensez-vous de ceci, moines : l’état de conscience est-il permanent ou temporaire ?

— Temporaire, Maître.

— Le fait qu’il soit temporaire, est-ce un bonheur ou un malheur ?

— Un malheur, Maître.

— Et ce qui est temporaire, malheureux et sujet à changement, est-il correct de le considérer ainsi : « Ceci est à moi, je suis ceci, ceci est mon moi-autonome » ?

— Certainement pas, Maître.

— Par conséquent, moines, tout physique passé, futur ou présent, personnel ou extérieur, grossier ou subtil, inférieur ou supérieur, lointain ou proche (tous ces termes sont expliqués en Visud XIV 185), vous devez le voir avec une juste sagacité tel qu’il est : « Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome. »

Tout ressenti… toute perception… tout composant mental… tout état de conscience… vous devez les voir avec une juste sagacité tels qu’ils sont : « Ceci n’est pas à moi, je ne suis pas ceci, ceci n’est pas mon moi-autonome. »

Quand il voit tout cela de cette façon, moines, le disciple noble et instruit est désenchanté du physique, des ressentis, des perceptions, des composants mentaux et des états de conscience. Étant désenchanté, il se détache. En se détachant, il se délivre. Dans la Délivrance vient la connaissance « délivré »(*), et il reconnaît avec sagacité que la naissance est détruite, la vie sainte vécue, fait ce qui était à faire, et rien de plus ici-bas.

En relation avec le chapitre XXI du Visuddhimagga, le détachement désigne le « chemin », la délivrance se rapporte au fruit, et la connaissance « délivré » à l’examen rétrospectif.

On dit de ce moine qu’il a retiré l’épar, comblé le fossé, déraciné le pilier, retiré le verrou, et aussi que cet ariyā a baissé le pavillon, déposé le fardeau et qu’il s’est libéré.

Et comment ce moine retire-t-il l’épar ? En retirant (le blocage par) l’aveuglement (avijjā), en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment ce moine retire l’épar.

Et comment ce moine comble-t-il le fossé ? En stoppant le cycle des naissances qui font les nouvelles existences, en en extirpant la racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment il comble le fossé.

Et comment ce moine déracine-t-il le pilier ? En extirpant le désir, en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment il déracine le pilier.

Et comment ce moine retire-t-il le verrou ? En défaisant les chaînes qui lient aux états inférieurs, en brisant leurs points d’attache, en les empêchant de se reformer et en leur interdisant toute reconstitution ultérieure. Voilà comment il retire le verrou.

Et comment cet ariyā baisse-t-il le pavillon, dépose-t-il le fardeau et se libère-t-il ? En faisant tomber l’appréciation « je suis », en anéantissant sa racine, en en détruisant toute trace, en l’empêchant de resurgir et en lui interdisant toute réapparition ultérieure. Voilà comment cet ariyā baisse le pavillon, dépose le fardeau et se libère.

Quand ce moine est spirituellement délivré, moines, même s’ils le cherchent, les brahmā qui accompagnent Inda, Brahmā ou Pajapati ne peuvent trouver aucune base à l’état de conscience du Tathāgata. Pourquoi donc ? Parce qu’on ne peut pas trouver le Tathāgata dans la réalité présente, je l’affirme.

Bien que je l’affirme, bien que je le proclame, il se trouve des ascètes et des brahmanes pour me contredire à tort, vainement, perfidement et contrairement aux faits en déclarant que « l’ascète Gotama est un rabat-joie qui enseigne la destruction de l’être, sa ruine et son anéantissement », alors que je décris seulement, maintenant comme par le passé, le malheur et la cessation du malheur.

Et si sur ce point, moines, certains critiquent le Tathāgata, le menacent et l’offensent, le Tathāgata ne s’en irrite pas, ne s’en trouve pas ébranlé ni mécontent. Et si, sur ce point, d’autres admirent le Tathāgata, le révèrent, l’estiment et l’honorent, le Tathāgata n’en est pas ravi, satisfait ni exalté. S’ils admirent le Tathāgata, le révèrent, l’estiment et l’honorent, il vient au Tathāgata l’idée : « C’est pour ce qui fut pleinement connu antérieurement(*) qu’ils me rendent de tels hommages. »

Ce qui fut pleinement connu lors de la complète réalisation à Bodh Gaya.

Par conséquent, moines, si certains vous critiquent, vous menacent ou vous offensent, vous ne devez pas vous en irriter, vous non plus, ni en être ébranlés ou mécontents. Et si d’autres vous admirent, vous révèrent, vous estiment et vous honorent, vous ne devez pas en être ravis, vous non plus, ni satisfaits ni exaltés. Si d’autres vous admirent, vous révèrent, vous estiment et vous honorent, vous devez penser : « C’est pour ce qui fut pleinement connu antérieurement qu’ils nous rendent de tels hommages. »

Par conséquent, moines, ce qui n’est pas à vous, abandonnez-le, cet abandon vous vaudra bonheurs et bienfaits pour longtemps. Et qu’est-ce qui n’est pas à vous ?

Le physique n’est pas à vous, abandonnez-le, cet abandon vous vaudra bonheur et bienfaits pour longtemps.

Le ressenti n’est pas à vous, abandonnez-le…

La perception n’est pas à vous, abandonnez-la…

Les composants mentaux ne sont pas à vous, abandonnez-les…

L’état de conscience n’est pas à vous, abandonnez-le…

Que pensez-vous de ceci, moines ? Si un homme emportait les herbes, le bois, les branches et les feuilles de ce Bois Jéta, s’il les brûlait ou en disposait à son gré, penseriez-vous : « C’est nous que cet homme emporte, qu’il brûle ou dont il dispose à son gré » ?

— Certes non, Maître, car rien de tout cela n’est ni nous ni nôtre.

— De même, moines, abandonnez le physique… le ressenti… la perception… les composants mentaux… l’état de conscience, rien de tout cela n’est à vous, abandonnez-le, cet abandon vous vaudra bonheurs et bienfaits pour longtemps.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, il n’y a plus de mouvement perceptible chez les moines accomplis qui ont éliminé toutes les contaminations, achevé la vie sainte, fait ce qu’ils avaient à faire, déposé le fardeau, atteint le vrai But, détruit toutes les chaînes de l’existence et qui se sont libérés par la Connaissance ultime.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé les cinq chaînes inférieures atteignent le complet Dénouement dans le monde où ils naissent ensuite par apparition et dont ils ne reviennent pas.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé trois chaînes et affaibli l’attachement, l’aversion et la confusion atteignent l’état d’Un-seul-retour (anāgamī), ils reviendront une seule fois en ce monde avant de mettre fin au malheur.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui ont éliminé trois chaînes entrent dans le courant, ils ne peuvent plus retomber (dans les existences inférieures) et sont assurés d’accéder à la pleine Réalisation.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous les moines qui suivent le chemin de la sagacité ou celui de la confiance finissent par atteindre la pleine Réalisation.

Bien énoncé de cette façon, moines, mon Dhamma est clair, évident, lumineux et dépourvu d’erreurs. De ce fait, tous ceux qui ont simplement confiance en moi ou qui m’aiment(*) finissent par atteindre le ciel.

Ainsi parla le Bienheureux.

Les moines furent satisfaits des paroles du Bienheureux et ils s’en réjouirent.

Il s’agit des personnes qui pratiquent la supravoyance mais n’ont encore atteint aucun « chemin », et qui ont cependant une confiance extraordinaire et un sentiment profond pour le Bienheureux. Ils semblent « saisir » le ciel avec la « main » de cette confiance et de ce sentiment exceptionnels.

infos sur cette page

Origine : Enseignements et discussions entre Bouddha, ses disciples, ses antagonistes… (Nord de l’Inde actuelle)

Date : Ve siècle avant notre ère

Traducteur : Christian Maës

Mise à jour : 25 févr. 2011