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MN 56 - upāli sutta

Le récit d’Upāli

Upāli habitait dans un nouveau village créé pour exploiter le sel qu’on y avait découvert. Il en était l’habitant le plus éminent et il avait entraîné les autres villageois à Nālandā pour y rencontrer son maître, Nātaputta le niggaṇṭha (le sans-lien), lequel fut le fondateur de la religion jaïn. Il est connu aussi comme Jina, Vainqueur, comme Mahāvīra, « Grand Héros », et comme 24e Tīrthankara, Pontife.

Ainsi ai-je entendu.

En ce temps-là le Bienheureux séjournait, près de Nālandā, dans la mangueraie de Pāvārika. À cette époque Nātaputta le sans-lien séjournait aussi près de Nālandā avec une nombreuse compagnie de sans-lien.

Or Tapassī le Long, un sans-lien, avait collecté sa nourriture dans Nālandā et revenait de sa collecte de nourriture. Après son repas, il se rendit auprès du Bienheureux dans la mangueraie de Pāvārika. Il salua le Bienheureux en arrivant – ils échangèrent des paroles courtoises et cordiales – et il resta convenablement debout.

Le Bienheureux dit à Tapassī qui restait debout :

— Il y a des places, Tapassī, assieds-toi si tu le désires.

Alors, Tapassī prit une place basse et s’assit convenablement. Quand il fut bien assis, le Bienheureux lui demanda :

— Combien d’actes, Tapassī, Nātaputta le sans-lien distingue-t-il quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

— Il n’est pas, ami Gotama, dans l’usage de Nātaputta de parler d’acte, il dit habituellement bâton(*).

— Donc, Tapassī, combien de bâtons Nātaputta distingue-t-il quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

— Nātaputta distingue trois bâtons pour l’exécution d’une mauvaise action et son accomplissement, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental(**).

* Bâton : danda a aussi les sens de punition, de châtiment et de menace.

** Seul le bâton mental est spirituel. Le bâton physique était comparé à l’ondulation des branches ou de l’eau quand le vent souffle, le bâton verbal au murmure de ces branches et de cette eau.

— Et, Tapassī, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental sont-ils distincts ?

— Oui, ami Gotama, le bâton physique, le bâton verbal et le bâton mental sont distincts.

— Lequel, Tapassī, de ces trois bâtons distincts et différenciés est considéré par Nātaputta comme le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ? Le bâton physique, le bâton verbal ou le bâton mental ?

— C’est le bâton physique, ami Gotama, que Nātaputta indique comme le plus condamnable dans une mauvaise action, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

— Tu dis le bâton physique, Tapassī ?

— Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

— Tu dis le bâton physique,  Tapassī ?

— Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

— Tu dis le bâton physique, Tapassī ?

— Oui, je dis le bâton physique, ami Gotama.

Le Bienheureux fit confirmer trois fois cette affirmation par Tapassī le Long, le sans-lien.

Puis Tapassī demanda au Bienheureux :

— Mais toi, ami Gotama, combien de bâtons distingues-tu quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

— Il n’est pas, Tapassī, dans l’usage du Tathāgata de parler de bâton, il dit habituellement acte.

— Donc, ami Gotama, combien d’actes distingues-tu quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ?

— Je distingue trois actes, Tapassī, pour l’exécution d’une mauvaise action et son accomplissement, l’acte physique, l’acte verbal et l’acte mental.

— Et, ami Gotama, l’acte physique, l’acte verbal et l’acte mental sont-ils distincts ?

— Oui, Tapassī, ils sont distincts.

— Laquelle, ami Gotama, de ces trois actes distincts et différenciés considères-tu comme le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit ? L’acte physique, l’acte verbal ou l’acte mental ?

— C’est l’acte mental, Tapassī, que j’indique comme le plus condamnable dans une mauvaise action, beaucoup plus que l’acte verbal ou l’acte mental.

— Tu dis l’acte mental, ami Gotama ?

— Oui, je dis l’acte mental, Tapassī.

— Tu dis l’acte mental, ami Gotama ?

— Oui, je dis l’acte mental, Tapassī.

— Tu dis l’acte mental, ami Gotama ?

— Oui, je dis l’acte mental, Tapassī.

Tapassī fit confirmer trois fois cette affirmation par le Bienheureux. Puis il se leva de sa place et retourna auprès de Nātaputta le sans-lien.


À ce moment Nātaputta était assis avec une grande assemblée de laïcs du village de Bālaka avec Upāli à leur tête.

Nātaputta vit approcher Tapassī le Long et lui demanda :

— D’où viens-tu donc, Tapassī, au milieu de la journée ?

— Maître, je suis allé voir l’ascète Gotama !

— Hein ? As-tu eu, Tapassī, une conversation avec l’ascète Gotama ?

— Oui, Maître, j’ai eu une discussion avec l’ascète Gotama.

— Comment s’est déroulée, Tapassī, ta discussion avec l’ascète Gotama ?

Tapassī raconta à Nātaputta toute la conversation qu’il avait eue avec le Bienheureux. Quand Tapassī eut fini de parler, Nātaputta l’approuva :

— Excellent, Tapassī, c’est excellent ! Tapassī le Long a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement de son maître. Car le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

Ainsi parla Nātaputta, et Upāli le maître de maison renchérit :

— Excellent, Tapassī est excellent ! Il a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement du maître. Le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

Je vais, Maître, aller débattre avec l’ascète Gotama. Si l’ascète Gotama maintient ce qu’il a soutenu à Tapassī, j’amènerai à moi par ma parole les propositions de l’ascète Gotama, je les ferai virevolter et les secouerai en tous sens de la même façon qu’un homme robuste qui agrippe un bélier à poil long par la toison, l’attire vers lui, le repousse et le secoue en tous sens ; ou de la même façon qu’un robuste liquoriste qui prend les anses d’un grand panier à liqueur qu’il a plongé dans un profond bassin d’eau, l’attire vers lui, le repousse et le secoue en tous sens. Par ma parole je renverserai les propositions de l’ascète Gotama dans un sens, dans l’autre et dans tous les sens, de la même façon qu’un alcoolique robuste qui prend son filtre par les anses (pour le nettoyer) le secoue face vers le bas, face vers le haut et en tous sens. Je jouerai à laver le chanvre(*) avec l’ascète Gotama à la manière de l’éléphant de soixante ans qui était descendu dans une profonde mare à lotus et qui y jouait à laver le chanvre. J’y vais, Maître, et je prendrai le dessus sur l’ascète Gotama.

— Vas-y, maître de maison, et prends le dessus dans le débat avec l’ascète Gotama. Je peux vaincre moi-même l’ascète Gotama par la parole, Tapassī le peut, et toi aussi tu le peux.

Un jeu qui se pratiquait avec du chanvre en train de rouir. Avec une poignée de chanvre, on frappait tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt devant soi. Ce jeu s’accompagnait de force nourritures et boissons alcoolisées. Un éléphant qui avait vu des hommes jouer ainsi, les avait imités en lançant de l’eau avec sa trompe, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt devant lui.

Mais Tapassī le Long dit à Nātaputta :

— Il ne me semble pas bon, Maître, que le maître de maison Upāli veuille aller vaincre l’ascète Gotama, car l’ascète Gotama est un magicien qui connaît un artifice pour retourner les disciples des autres sectes et les attirer à lui.

Tapassī tint trois fois ce propos à Nātaputta mais celui-ci (qui n’avait jamais vu l’ascète Gotama bien qu’il séjournât dans la même ville, et qui ne connaissait pas les effets de sa simple présence et de son enseignement) répondit les trois fois :

— Il est impossible, Tapassī, il ne peut pas arriver que le maître de maison Upāli devienne disciple de l’ascète Gotama. En revanche il peut se trouver que l’ascète Gotama devienne disciple d’Upāli. Va donc, maître de maison, et prends-le dessus sur l’ascète Gotama. Car si je peux vaincre moi-même l’ascète Gotama par la parole, Tapassī le peut aussi, et toi de même.

— Oui, Maître, répondit finalement Upāli à Nātaputta. Il se leva de sa place, salua Nātaputta, tourna autour de lui en le gardant à sa droite et se dirigea vers la mangueraie de Pāvārika où se trouvait le Bienheureux.


Le maître de maison Upāli s’approcha du Bienheureux, le salua en arrivant et s’assit convenablement. Une fois bien assis, il demanda au Bienheureux :

— Est-ce que Tapassī le Long, un sans-lien, est venu ici, Maître ?

— Oui, maître de maison, Tapassī est venu ici.

— Avez-vous eu, Maître, une conversation avec Tapassī ?

— J’ai bien eu, maître de maison, une conversation avec Tapassī.

— Comment s’est déroulée, Maître, cette conversation avec Tapassī ?

Le Bienheureux raconta à Upāli toute la conversation qu’il avait eue avec Tapassī. Quand le Bienheureux eut fini de parler, Upāli lui déclara :

— Excellent, Tapassī est excellent ! Il a répondu à l’ascète Gotama comme un disciple instruit qui connaît parfaitement l’enseignement de son maître. Le bâton mental est insignifiant en comparaison du bâton physique qui est si considérable. Le bâton physique est bien le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

— Si toi, maître de maison, parlais sincèrement, nous pourrions avoir une discussion ici même.

— Je parlerai sincèrement, Maître, ayons cette discussion.

— Que penses-tu de ceci, maître de maison ? S’il y avait ici un sans-lien malade, souffrant, gravement atteint, qui refuse l’eau fraîche(*) et n’accepte que l’eau chaude, et qu’il mourrait à cause du manque d’eau fraîche, quelle renaissance Nātaputta le sans-lien lui prédirait-il ?

— Il y a, Maître, des brahmā qu’on appelle « attachés au mental ». C’est là qu’il renaîtrait. Pourquoi ? Parce qu’il est mort alors qu’il était attaché au mental.

Les sans-lien refusaient l’eau fraîche, pensant qu’il pouvait s’y trouver un être. Ce malade se garde du bâton physique et du bâton verbal en refusant l’eau fraîche mais il la désire profondément pour soulager ses souffrances et cède ainsi au bâton mental qui détermine sa destinée future et qui est donc plus important que les deux autres bâtons.

— Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : « Je parlerai sincèrement, Maître, ayons cette discussion ».

— Quoiqu’en dise le Bienheureux, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

— Que penses-tu de ceci, maître de maison ? Il pourrait y avoir ici un sans-lien qui se restreigne par le quadruple contrôle(*), qui s’interdise toute eau fraîche, qui s’attache à tout ce qui empêche le mal, qui se défasse du mal et qui s’imprègne de tout ce qui l’empêche. Mais en allant et venant, il ferait périr beaucoup de petits animaux. Quelle conséquence Nātaputta indique-t-il pour cela ?

— Nātaputta indique, Maître, que cela n’est pas très condamnable en l’absence d’intention.

— Mais s’il a l’intention (de les tuer) ?

— Dans ce cas, Maître, c’est grandement condamnable.

— Et dans quoi Nātaputta classe-t-il l’intention ?

— Dans le bâton mental, Maître.

Ne pas détruire la vie ni inciter à la détruire ni approuver sa destruction, ne pas voler ni inciter au vol ni approuver le vol, ne pas mentir ni inciter au mensonge ni approuver le mensonge, ne pas désirer les plaisirs sensoriels ni inciter à les désirer ni approuver ce désir.

— Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : « Je parlerai sincèrement, Maître, ayons cette discussion ».

— Quoiqu’en dise le Bienheureux, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

— Que penses-tu de ceci, maître de maison ? Cette ville de Nālandā est-elle prospère, opulente, populeuse et riche en hommes ?

— Oui, Maître, cette ville de Nālandā est prospère, opulente, populeuse et riche en hommes.

— Que penses-tu de ceci, maître de maison ? S’il venait un homme qui brandisse une épée en disant : « Aussi nombreux que soient les êtres vivant à Nālandā, en un instant, en une seconde, j’en ferai un seul amas de chair, un seul empilement de chair », cet homme pourrait-il faire comme il le dit ?

— Même s’ils étaient dix, Maître, vingt, trente, quarante ou même cinquante, des hommes ne pourraient pas faire, en un instant, en une seconde, un seul amas de chair, un seul empilement de chair. Quel succès pourrait avoir un pauvre homme isolé ?

— Et maintenant, maître de maison, s’il venait un ascète ou un brahmane, doué de pouvoirs magiques et ayant la maîtrise de son esprit, qui dise : « Je vais réduire cette ville de Nālandā en cendres d’une seule pensée de destruction », cet ascète ou ce brahmane pourrait-il faire ce qu’il dit ?

— Un tel ascète ou un tel brahmane, Maître, pourrait réduire en cendres d’une seule pensée de destruction dix, vingt, trente, quarante ou même cinquante Nālandā. Que vaut une seule petite Nālandā ?

— Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : « Je parlerai sincèrement, Maître, ayons cette discussion ».

— Quoiqu’en dise le Bienheureux, le bâton physique est le plus condamnable quand une mauvaise action est commise et qu’elle s’accomplit, beaucoup plus que le bâton verbal ou le bâton mental.

— Que penses-tu de ceci, maître de maison ? As-tu entendu dire que les forêts de Daṇḍaka, de Kāliṅga, de Mejjha et de Mātaṅga étaient devenues des solitudes boisées (après avoir été des régions prospères) ?

— Oui, Maître, j’ai entendu dire que les forêts de Daṇḍaka, de Kāliṅga, de Mejjha et de Mātaṅga étaient devenues des solitudes boisées.

— As-tu entendu dire, maître de maison, pourquoi elles étaient devenues des solitudes boisées ?

— J’ai entendu dire, Maître, qu’une seule pensée méchante à l’encontre de sages voyants avait causé leur transformation en solitudes boisées(*).

Certains habitants de ces régions avaient eu de mauvaises intentions contre de sages ermites, suite à quoi des divinités avaient détruit ces régions.

— Maître de maison ! Maître de maison ! Fais attention quand tu réponds ! Car ta dernière parole n’est pas cohérente avec la première, ni la première avec la dernière. Or tu as dit : « Je parlerai sincèrement, Maître, ayons cette discussion ».

— J’ai été satisfait et enchanté par le Bienheureux dès la première image, mais je désirais entendre les différentes réponses que le Bienheureux donnerait, aussi ai-je pensé que je devais continuer à m’opposer au Bienheureux.

C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est merveilleux, honorable Gotama ! C’est comme si l’honorable Gotama avait redressé ce qui penchait, avait révélé ce qui était caché, avait montré le chemin à l’égaré, et avait apporté une lampe dans l’obscurité pour que ceux qui ont des yeux voient ! C’est ainsi de plusieurs façons que l’honorable Gotama a exposé l’enseignement. Je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un upāsaka qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

— N’agis qu’après mûre réflexion, maître de maison, il est bon que les célébrités telles que toi agissent en toute connaissance(*).

Ils doivent éviter de donner l’impression qu’ils changent de maître pour un oui ou pour un non.

— Je suis encore plus satisfait et enchanté par ces paroles du Bienheureux. Car une autre secte qui m’aurait gagné comme disciple aurait promené à travers Nālandā une banderole disant « le maître de maison Upāli est devenu notre disciple « . Au lieu de quoi, le Bienheureux me dit : « N’agis qu’après mûre réflexion, maître de maison, il est bon que les célébrités telles que toi agissent en toute connaissance ».

Pour la deuxième fois, je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un upāsaka qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

— Pendant longtemps, maître de maison, ta famille a été une source de dons pour les sans-lien, tu dois donc penser à faire encore des offrandes à ceux d’entre eux qui viendront en chercher.

— Je suis encore plus satisfait et enchanté par ces paroles du Bienheureux. J’avais entendu dire que l’ascète Gotama parlait ainsi : « Il ne faut donner qu’à moi seul et non aux autres, il ne faut donner qu’à mes seuls disciples et non aux disciples des autres, ce qui m’est donné produit de grands effets, mais non ce qui est donné aux autres, ce qui est donné à mes disciples produit de grands fruits, mais non ce qui est donné aux disciples des autres ». Et voilà que le Bienheureux m’incite à donner aussi aux sans-lien. Nous connaîtrons le juste moment pour le faire.

Pour la troisième fois, je cherche refuge auprès de l’honorable Gotama, du Dhamma et du Sangha. Que l’honorable Gotama me considère dès à présent comme un upāsaka qui gardera le refuge aussi longtemps qu’il lui restera un souffle de vie.

Ensuite le Bienheureux tint au maître de maison un discours progressif, discours sur la générosité, puis sur la vertu, enfin sur le ciel. Il lui montra aussi les inconvénients des plaisirs sensoriels, leur côté dégradant, souillant, et l’avantage que l’on trouve à y renoncer.

Quand le Bienheureux eut reconnu que l’esprit d’Upāli était prêt, souple, débarrassé des obstacles, aiguisé et limpide, il lui dévoila les réalités que louent les Bouddhas : le malheur, son origine, sa cessation et le chemin.

Et de même qu’un tissu propre et dépourvu de taches prend parfaitement la teinture, de même pour Upāli le maître de maison s’ouvrit, sur cette place même, l’œil du Dhamma, sans poussière et sans tache : tout ce qui a pour nature de commencer a aussi pour nature de finir.

Upāli vit ainsi la Réalité (ultime), atteignit cette Réalité, connut cette Réalité, plongea dans cette Réalité, traversa le doute et n’eut plus d’interrogations. Il fut assuré dans l’enseignement du maître sans plus avoir à dépendre d’autrui.

Upāli dit ensuite au Bienheureux :

— Allons ! Maintenant nous partons, Maître, car nous avons beaucoup d’obligations, beaucoup à faire.

— Si tu penses qu’il en est temps, maître de maison.

Le maître de maison Upāli était satisfait des paroles du Bienheureux. Il s’en réjouit, se leva, rendit hommage au Bienheureux, tourna autour de lui en le gardant à sa droite, puis il rentra à son logis.


Quand il fut arrivé chez lui, Upāli appela son portier :

— À partir d’aujourd’hui, bon portier, je ferme ma porte aux sans-lien, hommes et femmes, mais je la laisse ouverte pour le Bienheureux, ses moines, ses moniales et ses upāsakas, hommes et femmes. S’il vient un sans-lien, dis-lui : « Attends, Honorable, n’entre pas. Le maître de maison Upāli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Bienheureux, ses moines, ses moniales et ses disciples laïcs, hommes et femmes. Si tu as besoin de nourriture, attends ici et on te l’apportera ».

— Bien, maître, répondit le portier.


Or Tapassī le Long entendit dire qu’Upāli était devenu disciple de l’ascète Gotama. Il se rendit auprès de Nātaputta et lui dit par trois fois :

— J’ai entendu dire, Maître, qu’Upāli était devenu disciple de l’ascète Gotama.

Mais à chaque fois Nātaputta déclara :

— Il est impossible, Tapassī, il ne peut pas arriver qu’Upāli soit devenu disciple de l’ascète Gotama. En revanche, il peut se trouver que l’ascète Gotama soit devenu disciple d’Upāli.

Après la troisième fois, Tapassī déclara :

— Je pars, Maître, pour savoir si Upāli est vraiment devenu disciple de l’ascète Gotama.

— Va, Tapassī, et découvre-le.


Tapassī le Long se rendit à la maison d’Upāli. Le portier le vit approcher et lui dit :

— Attends, Honorable, n’entre pas. Le maître de maison Upāli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Bienheureux, ses moines, ses moniales et ses disciples laïcs, hommes et femmes. Si tu as besoin de nourriture, attends ici et on te l’apportera.

— Je n’ai pas besoin de nourriture, dit-il. Et il revint auprès de Nātaputta.


Là, il dit trois fois à Nātaputta :

— Il est tout à fait vrai, Maître, qu’Upāli est devenu disciple de l’ascète Gotama. Je n’ai pas eu gain de cause quand je t’ai dit : « Il ne me semble pas bon que le maître de maison Upāli veuille aller vaincre l’ascète Gotama, car l’ascète Gotama est un magicien qui connaît un artifice pour retourner les disciples des autres sectes et les attirer à lui ». Et maintenant voilà qu’Upāli a été détourné de toi par l’ascète Gotama grâce à cet artifice.

Et Nātaputta rétorqua trois fois :

— Il est impossible, Tapassī, il ne peut pas arriver qu’Upāli soit devenu disciple de l’ascète Gotama. En revanche, il peut se trouver que l’ascète Gotama soit devenu disciple d’Upāli.

À la troisième fois, il ajouta :

— Je m’en vais voir par moi-même si Upāli est devenu disciple de l’ascète Gotama ou non.


Nātaputta le sans-lien se rendit donc avec un grand groupe de sans-lien à la demeure d’Upāli. Le portier le vit approcher et lui dit :

— Attends, Honorable, n’entre pas. Le maître de maison Upāli est désormais disciple de l’ascète Gotama. Sa porte est fermée aux sans-lien, hommes et femmes, mais elle est ouverte pour le Bienheureux, ses moines, ses moniales et ses disciples laïcs, hommes et femmes. Si tu as besoin de nourriture, attends ici et on te l’apportera.

— En ce cas, bon portier, va trouver Upāli et dis-lui que Nātaputta l’attend à la porte extérieure avec un grand groupe de sans-lien et qu’il veut le voir.

— Bien, Maître, répondit le portier, qui alla rapporter ces paroles à Upāli. Celui-ci lui répondit :

— Fais dresser, bon portier, des places (pour s’asseoir) dans le hall de la porte intermédiaire.

— Bien, maître, répondit le portier. Il fit préparer des places dans le hall de la porte intermédiaire puis revint dire à Upāli :

— Les places sont prêtes, maître, pour que tu t’en serves comme tu le jugeras bon.

Upāli alla dans le hall de la porte intermédiaire et s’y assit à la place d’honneur, la meilleure, la plus élevée, la plus confortable. Puis il fit signe au portier :

— Maintenant, bon portier, va trouver Nātaputta et dis-lui : « Upāli te fait dire d’entrer, Honorable, si tu le souhaites ».

Le portier transmit l’invitation à Nātaputta et celui-ci alla jusqu’à la salle de la porte intermédiaire avec tous les sans-lien. Upāli était déjà là. Il se leva comme pour aller à sa rencontre, mais essuya la place d’honneur, le ceignit de sa robe double et s’aida à s’asseoir (comme s’il était à la fois le disciple qui aide son maître à s’asseoir sur le trône, et le maître qui s’assied). Une fois bien assis, il dit à Nātaputta :

— Il y a des places, Honorable, assieds-toi si tu le souhaites.

Ainsi parla-t-il, mais Nātaputta l’apostropha :

— Tu es insensé, maître de maison ! Tu es stupide, maître de maison ! Tu es parti en disant que tu prendrais le dessus sur l’ascète Gotama et tu es revenu empêtré dans un flot de belles paroles ! Tu es comme un castreur parti castrer qui reviendrait avec les testicules arrachés, ou comme un extracteur d’œil parti extraire qui reviendrait avec les yeux arrachés. De même, tu es parti en disant « je prendrai le dessus sur l’ascète Gotama » et tu es revenu empêtré dans un flot de bonnes paroles. Gotama t’a bien retourné, maître de maison, grâce à son artifice de retournement !

— Excellent, Honorable, est cet artifice de retournement ! Bénéfique est cet artifice ! Je souhaite que mes chers amis et parents soient retournés de la même façon, ce leur sera bénéfice et bonheur pour longtemps.

Si de plus tous les nobles, tous les brahmanes, tous les artisans et tous les serviteurs pouvaient être retournés de la même façon, cela leur serait à tous bénéfice et bonheur pour longtemps. Si en outre tout l’univers avec ses deva, ses Māras, ses brahmā, et tout ce monde avec ses ascètes et ses brahmanes, ses rois divins et ses hommes, pouvaient être retournés de cette façon, cela leur serait à tous bénéfice et bonheur pour longtemps.

Je vais te proposer une comparaison, Honorable, car certains hommes sages comprennent ainsi le sens des paroles.

Il y avait autrefois, Honorable, un vieux brahmane, chargé d’années et vénérable, dont la toute jeune épouse était enceinte et sur le point d’accoucher. Or cette jeunesse dit par trois fois :

— Va, brahmane, acheter un petit singe dans une boutique et apporte-le moi, il sera un compagnon de jeu pour mon fils.

Le brahmane répondit par deux fois :

— Attends jusqu’à l’accouchement, chère épouse. Si tu accouches d’un fils, je lui achèterai un petit singe dans une boutique et je l’apporterai comme compagnon de jeu pour ton fils. Mais si tu accouches d’une fille, je lui achèterai une petite guenon.

Mais le brahmane était épris de sa jeune femme et très attaché. La troisième fois, il acheta un petit singe dans une boutique et le lui apporta :

— Voici le petit singe, chère épouse, que je t’ai acheté et apporté afin qu’il soit un compagnon de jeu pour ton fils.

Ainsi parla-t-il, Honorable, et la jeune femme dit au brahmane :

— Va maintenant, brahmane, chez Mains-pourpres le fils du teinturier avec ce petit singe et dis-lui : « Je désire, bon Mains-pourpres, que ce petit singe soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit écrasé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre ».

Alors, Honorable, le brahmane, parce qu’il était amoureux et attaché à sa jeune épouse, prit le petit singe, alla chez Mains-pourpres et lui dit :

— Je désire, bon Mains-pourpres, que ce petit singe soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit écrasé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre.

Mais Mains-pourpres répondit :

— Ce petit singe pourrait supporter la teinture, mais non le repassage ni le lissage.

De même, Honorable, la parole des sans-lien stupides prend la teinte de la sottise et non celle de la sagesse, elle ne supporte pas un examen serré ni la recherche des imperfections.

Une autre fois, Honorable, le brahmane prit un jeu de vêtements neufs, les porta chez Mains-pourpres le fils du teinturier et lui dit :

— Je désire, bon Mains-pourpres, que ce jeu de vêtements neufs soit teint de la couleur appelée enduit-doré et qu’il soit repassé soigneusement et lissé d’un côté et de l’autre.

Et Mains-pourpres lui répondit :

— Ce jeu de vêtements neufs peut prendre la teinture et supporter le repassage et le lissage.

De même, Honorable, la parole du Bienheureux accompli et parfait Bouddha prend la teinte de la sagesse et non celle de la sottise, elle supporte un examen serré et la recherche des imperfections.

— Cette assemblée, maître de maison, et ses chefs croient qu’Upāli est disciple de Nātaputta le sans-lien. De qui devons-nous comprendre qu’il est le disciple ?

Ainsi parla-t-il, et Upāli le maître de maison se leva de sa place, ajusta sa robe de dessus sur son épaule, salua dans la direction où se trouvait le Bienheureux et dit à Nātaputta :

— Écoute, Honorable, de qui je suis le disciple :

Ce Sage a dissipé toutes les confusions

Brisé l’aridité(*) et vaincu les Māras

Sans souffrance aucune et toujours impartial

Discipliné en tout, profondément sagace

Il a tué les passions et reste immaculé

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Satisfait sans avoir à poser de questions

Joyeux d’avoir vomi la grossièreté du monde

Cet humain a poussé l’ascèse jusqu’au bout

Héros drapé dans sa dernière enveloppe

Devenu sans égal, dépourvu de souillures

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Expert qui a chassé tous les doutes

Il sait éduquer et guider excellemment

Resplendissant de sa nature suprême

Rayonnant dans son absence de désir

Il coupe énergiquement toute estime de soi

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Il a la puissance du plus grand des taureaux

Avec la profondeur silencieuse du sage

Savant et protecteur

Stable dans le Dhamma et toujours contrôlé

Il est libre de tout lien

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

C’est au loin qu’il demeure comme un grand éléphant

Libéré de ses chaînes qui gisent fracassées

Il conseille à chacun d’ébranler ses défauts

Drapeau d’orgueil tombé et passions envolées

Il s’est bien maîtrisé, ne se disperse pas

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Lui le septième Voyant ne nous trompe jamais

Il a la triple science, ce qu’on trouve de meilleur

Lavé de tout défaut autant que grand poète

Tout à fait apaisé et lucide sur tout

Il donne le Dhamma et il est tout-puissant

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Immaculé, parfait en toutes ses vertus

Il explique, il détaille

Avec sa vigilance il est supra-voyant

Sans inclinations, répulsions ni émotions

Il possède en tout la maîtrise

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Il a suivi le bon chemin, maîtrise l’absorption

Garde sa pureté sans que rien ne l’affecte

Il ne s’attache ni ne rejette

À gravi jusqu’en haut la cime isolée

Traversé l’inondation et la fait traverser

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Paisible, immensément sagace

D’une sagacité dépourvue d’attirance

Il est Tathāgata, Sugata, Bien-venu

Sans égal ni rival

Plein de maturité et de subtile intelligence

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

Il est Bouddha — racine du désir coupée

Fumées dissipées, souillures effacées

Ce génie merveilleux mérite les offrandes

Il est l’Homme suprême qu’on ne peut évaluer

Géant au sommet de sa gloire

Voilà de quel Maître moi je suis le disciple.

— Quand donc, maître de maison, as-tu composé ces louanges à l’ascète Gotama ?

— S’il dispose d’un grand monceau de fleurs variées, Honorable, un fleuriste chevronné, ou son apprenti, peut tresser une guirlande multicolore. De même, le Bienheureux a des vertus par centaines ; qui ne célébrerait les louanges de celui qui les mérite ?

Nātaputta le sans-lien ne put supporter l’éloge du Bienheureux, du sang chaud lui sortit de la bouche(**).

* Stérilité du doute quant au maître, à l’enseignement, à la communauté, à la pratique, et stérilité de la paresse lors de l’exercice de la vie sainte.

** Peu d’hommes survivent à une telle chose. Nātaputta s’effondra et on l’emporta sur une civière jusqu’à Pāva où il mourut peu après.

infos sur cette page

Origine : Enseignements et discussions entre Bouddha, ses disciples, ses antagonistes… (Nord de l’Inde actuelle)

Date : Ve siècle avant notre ère

Traducteur : Christian Maës

Mise à jour : 25 févr. 2011